Il y a quelques jours, le feu a presque pris sur la page facebook de TPL moms. Une femme anonyme a publié un texte (dont des extraits sont disponible ici) sur ses expériences de nouvelle maman allaitante qui désirait poursuivre sa vie sexuelle active. Le Journal de Québec rapportait même qu'une enquête avait été ouverte par la Sureté du Québec sur le sujet à la suite d'une plainte. Je vais tenter ici de décortiquer certains éléments de cette situation:

1) Obtenir un orgasme en allaitant: En effet, c'est possible. Les seins sont une zone érogène plus ou moins sensible selon les personnes et, en effet, l'orgasme par stimulation des mamelons peut arriver. Ce qui est important de comprendre ici, c'est que cet orgasme n'est pas nécessairement associé à un désir sexuel, à une anticipation. Il pourrait l'être, mais il ne l'est pas nécessairement. Je pourrais comparer cette situation à une personne qui se fait chatouiller et qui rit, mais qui crie d'arrêter. Beaucoup de personnes détestent se faire chatouiller, mais ont beaucoup de difficulté à ne pas rire quand même; c'est un automatisme. C'est la même chose avec la stimulation des zones érogènes; le déclenchement de la réponse sexuelle (la lubrification, l'érection et l'orgasme) peuvent avoir lieu sans désir. C'est d'ailleurs pour la même raison que des personnes victimes d'agression sexuelle obtiennent parfois des orgasmes; leurs organes génitaux remplis de récepteurs sont stimulés et l'orgasme est atteint sans que ça ait un lien avec le désir et l'envie de l'agression. Bref, c'est la même chose avec bébé qui tète au sein. Beaucoup de femmes vivent de la culpabilité ou de la honte d'obtenir des orgasmes de cette façon (soit durant l'allaitement ou l'agression sexuelle). La majorité de ces mères ont de la difficulté à aller chercher de l'aide, car elles craignent d'être jugées et accusées d'agression sexuelle. Malheureusement, plusieurs intervenant.e.s du milieu de la santé ne connaissent pas cette réalité et associent "orgasme" à "désir" et les femmes sont parfois mal accompagnées dans cette réalité qui nécessite a) de l'écoute b) de l'accueil dans leurs émotions et c) de l'éducation par rapport au phénomène pour normaliser ce qui se passe.

2) Avoir des rapprochements érotiques et sexuels à proximité du bébé: Cet aspect est assez délicat, car il comporte certains éléments culturels à ne pas négliger. Par exemple, dans plusieurs pays, les maisons sont constituées d'une seule pièce dans laquelle toute la famille dort. Quand il y a des murs, ils sont en carton et on entend voler une mouche. De plus, le rapport à la sexualité n'est pas le même dans toutes les cultures, mais peu importe les cultures, il est souvent balisé selon des règles strictes, qui varient d'un endroit à l'autre. Dans certains pays africains, la reprise des relations sexuelles après la naissance du bébé est fortement encouragée et la communauté s'implique pour aider les nouvelles familles. Dans les peuples anglo-saxons (comme le nôtre), la sexualité est souvent plus taboue, y compris après la naissance de bébé. Au Québec, depuis peu, de nouvelles normes recommandent fortement aux parents de laisser dormir bébé dans la même chambre qu'eux pour les six premiers mois de vie. Disons que ça peut compliquer la donne quand on sait comment, pour certaines familles, les heures de repos sont rares. Il peut être délicat de recommander au nouveau couple d'opter pour la salle de lavage ou la table de la cuisine pour leurs rapprochements sexuels ;-) De plus, pour toutes les familles qui habitent dans des appartements aux murs de carton, la même chambre ou la chambre d'à côté donne plus ou moins le même acoustique ;-) 

Est-ce que dans ce contexte, il est absolument proscrit d'avoir de relations sexuelles dans la même pièce qu'un nourrisson qui dort? Non. Il est assez délicat de tracer une ligne franche entre "ceci est acceptable" et "celà ne l'est pas". Des échanges amoureux à côté de bébé ou des échanges érotiques à côté de bébé (dans un lit différent), ce n'est pas un problème. Il faut toutefois se souvenir qu'un bébé a une conscience. Il n'est pas capable de se créer un souvenir très clair de ce qui se passe, mais il imprègne tout de même des états émotifs dans son cerveau. Un enfant qui est témoin de scènes torrides et sans pudeur de la part de ses parents (qu'ils soient dans la même chambre ou non) enregistre l'information. Il ne sera pas capable de la codifier et il peut se développer avec un malaise qu'il ne sera pas capable d'identifier plus tard, car certaines limites ont été franchies. Cette situation met en lumière l'importance, lorsque bébé sera un peu plus grand, de lui parler de sexualité; de ce qui appartient au monde des adultes et au monde des enfants, qu'il apprenne à faire la distinction entre des bons et des mauvais touchers, qu'un enfant peut être curieux et explorer avec des enfants de son âge, mais pas avec des adultes, etc. Ces éléments peuvent être mentionnés dès un an. Un enfant qui a entendu ses parents avoir des relations sexuelles pourra alors y donner un sens, car bien des enfants croient qu'un des deux parents attaquait l'autre et se mettent à avoir peur des contacts intimes et sexuels.

3) Avoir des contacts sexuels seul ou à deux lors de l'allaitement: Cette situation sera probablement clarifiée par des juristes si des accusations sont portées par la Sureté du Québec, mais cette situation transgresse bien des frontières. Il n'est pas question ici de savoir si un bébé a été utilisé comme un objet érotique (dans pareil cas, la question ne se poserait même pas), mais qu'un enfant est activement présent dans des échanges érotiques entre adultes. En observant la définition du texte de loi sur l'agression sexuelle, je vois mal comment le geste pourrait être exclu, mais au delà de l'aspect juridique de la situation, il y a confusion des rôles. Est-ce qu'une femme peut être à la fois une amante et une mère? Est-ce que ces deux rôles peuvent être joués dans le même espace temps? La femme, dans son texte, utilise des études scientifiques pour illustrer qu'elle n'est pas la seule à avoir obtenu un orgasme en allaitant. Mais ça justifie difficilement de passer de la réponse réflexe au désir sexuel. 

Je comparerais la situation à un adolescent qui est dans l'autobus et dont la vibration fait naître une érection. Cette réponse est normale; la vibration peut causer des érections chez les hommes. Mais la question est: qu'est-ce que cet adolescent fera avec ce début d'érection? Est-ce qu'il prendra des grandes respirations et tentera d'amener son esprit dans un domaine pas du tout érotique pour faire disparaître son érection? Ou est-ce qu'il va se mettre à fantasmer sur sa voisine qu'il trouve tellement sexy, ce qui fera compléter son érection? Et s'il réalise que son érection est complète (soit parce qu'il n'est pas capable de la faire disparaître ou parce qu'il l’alimente), va-t-il se mettre à se frotter sur son sac-à-dos posé sur ses genoux?

La femme qui utilise le moment de l'allaitement pour le transformer en moment érotique, tout comme l'adolescent qui alimente son érection pour la rendre complète en fantasmant et en se frottant sur son sac-à-dos sont tous les deux mis devant un choix; celui de réfléchir sur le contexte dans lequel ils se trouvent (est-ce que prendre soin d'un enfant ou être dans un espace public peut coïncider avec une excitation érotique?) ou faire le choix de nier le contexte pour accorder plus d'importance à leur désir actuel. Mais une chose est certaine; ce n'est pas parce qu'une personne fait le choix de ne pas réfléchir au contexte et à la responsabilité qu'elle a par rapport au contexte que le contexte n'existe plus.