Lorsqu'un meurtre, un suicide ou une autre forme de violence sont diffusés dans les médias, c'est la consternation. Colère, rage, tristesse, dépression font partie de la palette d'émotions ambiantes. La mort et la destruction sont vides de sens. Et l'être humain a besoin de créer un sens. Un sens qui pourrait laisser libre cours à ses émotions envahissantes en restant à distance des causes de cet événement. Les "pourquoi?" et "c'est la faute de qui?" sont énoncés, décortiqués et analysés dans les médias. On cherche des coupables et des solutions qui pourraient nous amener à nous apaiser. Mais nous apaiser de quoi exactement? Qu'y a-t-il de si envahissant pour nous dans cette situation? Bien sûr, un acte de violence est troublant. Mais que se passe-t-il pour qu'on tente de fuir nos émotions? Parce que de trouver des causes, c'est "remonter dans sa tête", garder les émotions à distance. Si on prenait le temps de regarder ces émotions, qu'est-ce qu'elles nous diraient? Probablement que ces situations de violence sont moins éloignées de nous qu'on ne le croit. Que nous aussi un jour ou l'autre nous avons été à proximité d'une personne qui souffrait. Et être à proximité d'une personne qui souffre, pour beaucoup de personnes, c'est extrêmement envahissant.

Gérer son impuissance
Qui n'a jamais été témoin d'un.e proche qui était en train de faire un mauvais choix? De notre point de vue à tout le moins. On souhaiterait tellement que la personne qu'on aime réalise que cette décision amènera des conséquences fâcheuses. On voudrait tellement que l'autre nous écoute. Et lorsque cette personne ne nous écoute pas, on se rebute. Et si la conséquence arrive, l'envie de dire: "Je te l'avais dit!" n'est pas très loin.

De quoi est-ce que ça parle cette situation? De notre sentiment d'impuissance. Du fait qu'on n'a pas de contrôle sur les actions et les décisions des autres. Que nous pouvons tenter d'influencer, de guider, mais qu'au bout de la ligne, ce n'est pas nous qui aurons le dernier mot. Que chaque personne est libre et autonome par rapport à ses choix. Y compris de faire des mauvais choix.

L'accompagnement dans la durée
Lorsqu'une situation catastrophe est médiatisée, on se demande comment les choses auraient pu être mieux faites. C'est vrai dans le cas des cas de santé mentale, de violence sexuelle ou conjugale, de toxicomanie, etc. Aider et soutenir une personne qui vit une situation ponctuelle en mobilisant nos énergies pour assurer un filet de sécurité est la chose à faire. On a toujours l'impression que les gens auraient pu mieux "faire leur job" pour soutenir la personne victime d'une catastrophe; les ressources, les parents, les policiers, l'école, etc. Dans la réalité, lorsqu'on est en présence d'une personne qui est dans une situation chronique, être présent.e pour l'autre n'a pas le même sens. Lorsqu'une personne "est dans le trouble" au quotidien, qu'elle sollicite les ressources, sa famille, ses proches et les policiers quotidiennement, ce niveau de "qui-vive" mis en place dans les situations ponctuelles ne peut pas être maintenu. Il est impossible d'être le "scout-toujours-prêt" pour les personnes dans des situations chroniques. C'est épouvantable d'en arriver à ce constat. Beaucoup de personnes se sentent coupables de ne pas toujours être présentes pour les autres. De devoir mettre un cadre ou des limites. Certaines personnes n'arrivent pas à établir clairement les limites, car elles souhaiteraient ne pas avoir à en mettre. Ça devient toutefois nécessaire à sa propre survie, d'une part, et car la chronicité d'une situation appartient en partie à la personne qui est dans cette situation chronique.

Remords, douceur et compassion
Pour certaines personnes, mettre des limites est à ce point difficile qu'elles préfèrent couper le lien avec cette personne constamment en besoin d'aide. Et lorsqu'une situation catastrophe arrive, les remords remontent. "Et si... Et si... Et si...". Accompagner les personnes qui vivent des situations chroniques demande une bonne régulation émotionnelle. La capacité de rester dans le lien avec une personne avec qui on ne partage pas les décisions. D'accepter que la personne vivra des conséquences à ses choix et que nous ne pourrons pas toujours la sauver d'elle-même et des autres. Rester en contact avec des personnes dans des situations chroniques nécessite d'être en contact avec la douceur et la compassion. La compassion et la douceur pour l'autre qui fait des mauvais choix et accepter de rester en lien et d'aimer cette personne malgré tout. Mais aussi la douceur et la compassion pour soi-même de ne pas pouvoir être un super-héros qui pourra toujours sauver l'autre des catastrophes, non pas par sadisme ou par punition. Uniquement parce que nous ne sommes pas tout-puissant.