Je tiens tout d'abord à remercier les personnes qui ont participé au concours lié à la publicité qui a été posté plus tôt cette semaine!
Je souhaitais revenir sur la publicité qui n'a pas fait l'unanimité, car ça me permet de vous parler d'une façon d'intervenir qui se nomme "la réduction des méfaits", mais aussi de vous faire part de ma critique de la publicité. Mais avant, voici une description du clip pour les personnes qui ne l'auraient pas visionné.
Dans cette publicité, on voit un pénis dessiné sur un mur de toilettes publiques qui aimerait bien "tirer un p'tit coup". Il se met donc à courir après des vagins sur pattes, des bouches et des anus qui se sauvent à grandes enjambées. Après que tout le monde se soit sauvé, le pénis, le caquet bas, est bien triste. C'est alors qu'une jeune fille qui se maquille dans la salle de bain dessine un condom à notre personnage principal. Le pénis étant protégé, les vagins sur pattes,les bouches et les anus reviennent par centaine pour se faire joyeusement pénétrer.
À première vue, cette publicité comporte certains questionnements au niveau de l'éthique (qu'est-ce qui est le mieux pour moi, pour l'autre et pour l'ensemble de la société):
- Est-ce qu'un garçon est seulement un pénis et une fille un vagin?
- Est-ce que les relations sexuelles se limitent à la pénétration?
- Où est la part d'émotion dans cette publicité?
- Où est la part de désir et de sensualité dans cette conception des relations sexuelles?
- Est-ce réellement souhaitable de faire la promotion de la multiplicité des partenaires?
- Est-ce réellement aux filles, encore aujourd'hui, de penser à la contraception (fille qui lui dessine un condom)?
- Etc.
C'est ici qu'entre en jeu la conception de "réduction des méfaits". Avec cette idéologie,on ne vise pas l'atteinte du nirvana, mais bien de rejoindre une clientèle cible et de viser un objectif plus spécifique, sans tenir compte de la thématique dans sa globalité (on ne tient donc pas compte de tous les questionnements précédents).
La réduction des méfaits est utilisée avec plusieurs clientèles cibles. Par exemple, lorsqu'on tente d'amener des personnes toxicomanes à utiliser des seringues propres et de ne pas partager leurs seringues souillées afin d'éviter la propagation d'infections comme l'hépatite C ou le VIH; il y a même des programmes qui donnent des seringues propres. Bien sûr, le nec plus ultra serait d'amener ces personnes à cesser de consommer des drogues, mais en attendant de viser cet objectif, on tente de réduire les méfaits.
Dans la précédente publicité, on serait portés à croire que la clientèle cible est les jeunes hommes hétérosexuels qui vivent dans un contexte de performance et que l'objectif spécifique de la publicité est d'amener les jeunes hommes à porter un condom lors de rapports sexuels de tous genres (pénétration vaginale,orale ou anale).
Maintenant, les concepteurs de la publicité sont passés à côté de leur message, même s'ils avaient choisi d'utiliser la philosophie de la réduction des méfaits. Il n'y a qu'un pénis, un condom et des centaines de partenaires. Bien sûr, le personnage le mieux protégé de l'histoire est le pénis, mais qu'en est-il des partenaires? En changeant de partenaire sans changer de condom, ce sont ses partenaires qui risquent d'être infectés. On lance donc un faux message de protection et c'est une erreur assez grave au point de vue de la santé publique. Il ne s'agit pas ici d'être puriste, mais bien d'être réaliste:une personne est sensée changer de condom à chaque partenaire. De plus, s'il y a une pénétration anale et ensuite une pénétration vaginale, l'homme est sensé changer de condom entre les deux pour éviter de mettre des bactéries dans le vagin de sa partenaire, ce qui pourrait se transformer en vaginite ou autre.
Finalement, je crois qu'il aurait été possible de mettre un personnage garçon au lieu d'un personnage fille pour lui dessiner un condom, question de passer le message que c'est aussi aux garçons de penser à la contraception et pas seulement aux filles qui ne souhaitent pas être enceintes. Dans un contexte scolaire,un jeune homme aurait très bien pu se laver les mains et avoir des cahiers et un étui à crayon pour lui dessiner un condom.
Cette publicité, même si elle est rigolote, transmet un faux message, un message de sexualité individualiste et une fausse apparence de sexualité responsable. On ne peut même pas dire que les concepteurs ont travaillé avec la philosophie de la réduction des méfaits, car ils n'ont pas pris en compte tous les personnages. L'intention était bonne, mais le résultat est infructueux.
Sophie Morin, Sexologue consultante
4 Commentaires
Dans la réalité des relations hétérosexeulles, la responsabilité revient souvent à la fille de demander qu'un condom soit mis; si la fille ne le demande pas, le gars aura moins tendance à en mettre un.
Dans cette optique, il aurait été intéressant qu'on voit un garçon au lieu d'une fille; on aurait ajouté un élément de sensibilisation,sans changer le concept.
pour ma part, je trouve ton commentaire très intéressant...pour une classe d'éthique. Tout ce que tu dis est vrai, et dans le fond, j'ai rien de mieux à proposer.
Mais j'aimerais quand même te demander, toi qu'est-ce que tu ferais comme publicité?
Personnellement, je pense qu'il y a tellement de chose à enseigner à la population par rapport à la sexualité que ça ne peut pas rentrer dans une pub de 30 secondes. Je pense que l'éducation va se faire par l'accumulation de petites pubs (imparfaites et incomplètes il va sans dire).
Dans mon travail de dépistage des ITSS, je me rend compte que les gens savent déjà tout ça (il faut mettre un condom, changer de seringue, etc.). De temps en temps, il tombe sur un intervenant qui, cette journée là, a utilisé les bon mots pour le convaincre de changer de comportement. C'est l'accumulation de ces petites interventions (qui souvent ne donnent rien lorsque considérées individuellement) qui font que, à l'usure, la personne change.
De la même façon, chacune de ces pubs sèment une graine (c'est le cas de le dire!) dans la tête de certaines personnes. On souhaite que la graine va pousser dans le plus grand nombre de tête possible, mais une chose est certaine, ça ne poussera jamais dans TOUTES les têtes en même temps.
Par ailleurs, et là j'émets vraiment juste une hypothèse, est-ce que c'est vraiment une bonne idée d'envoyer un message plus "éthique" si la clientèle cible ne comprend pas, ou plutôt si elle ne se sent pas concernée par ce message?
Je m'explique. Le type qui pense que c'est à la fille de voir à la contraception (toi et moi, on sait qu'il a tort, mais comme on a pas son numéro de téléphone pour l'engueuler) est-ce qu'il ne risquerait pas de ce foutre du message s'il était aussi idéal que celui que tu décris? Parce que la réduction des méfaits, c'est une approche qui implique aussi de prendre la personne comme elle est, où elle est rendue, et de l'amener où elle souhaite aller en terme de santé.
Merci
Jérôme
Pour la question éthique, je ne crois pas que toutes les publicités ont le devoir d'être éthiques. J'énumérais des questionnement éthique, mais comme tu l'as si bien mentionné, il est possible de fragmenter le message dans plusieurs publicités.
J'espère que ces éclaircissement t'auront permis de mieux saisir ce que je tentais d'exprimer!