Cette semaine, Radio-Canada m'a demandé d'aller visionner le film "50 shades of Grey" en avant-première pour donner mon avis professionnel sur le film tant attendu. On m'avait tellement parlé de ce phénomène que l'an dernier,  j'ai décidé de lire le livre pour me faire une tête. Restait à voir si le film allait être similaire ou non.

Je ne peux pas parler du film sans d'abord parler des pratiques sadomasochistes qui font tant couler d'encre. Voici donc le premier de deux billets; le premier portera sur les pratiques sexuelles sadomasochistes et le second sera ma critique sexologique du film en tant que tel.

Les gens connaissent très mal les pratiques sadomasochistes. La plupart des gens croient que donner une claque sur les fesses de son partenaire est du sadomasochisme, mais ce n'est pas le cas. Les personnes qui se qualifient de sadomasochistes sont des personnes qui éprouvent du plaisir sexuel à donner ET à recevoir des pratiques humiliantes, que ce soit par de la violence verbale, physique, psychologique ou sexuelle, et ce, dans un contexte de MUTEL consentement libre et éclairé. Si une personne n'est pas encline à interchanger les rôles, elle n'est pas sadomasochiste; elle est soit sadique (éprouve du plaisir sexuel et érotique à humilier et dominer) ou masochiste (éprouve du plaisir sexuel et érotique à être humiliée et dominée). Les sadiques purs sont plutôt rares pour une raison pratique: les masochistes purs sont aussi plutôt rares et difficiles à trouver. Alors que les spécialistes de la santé mentale classifient les sadiques et les masochistes de personnes détenant une paraphilie (un trouble déviant de la sexualité), les personnes sadomasochistes, non. Le fait d'avoir la capacité d'interchanger les rôles en n'étant pas encarcané dans un seul script et un seul rôle sexuel exempte les personnes ayant des pratiques sadomasochistes d'un diagnostic de paraphilie.

Les gens qui ont des paraphilies, sont des personnes pour qui l'excitation sexuelle est possible sans être en relation avec une personne, ou plutôt, ne sont pas réellement capables d'entrer en relation avec les autres; l'autre devient un accessoire à son plaisir sexuel et érotique. Le sadique, par exemple, est excité par le sentiment qu'il a d'être Dieu, car il a le pouvoir de vie et de mort sur l'autre. C'est ce pouvoir qui est excitant et non la relation avec l'autre. Ce serait la même chose pour une personne qui est fétichiste des souliers: cette personne n'aurait plus besoin que sa partenaire porte le soulier; le soulier seul amène l'excitation. Par contre, toutes les personnes qui sont excitées lorsque leur partenaire porte des souliers à talons ne sont pas fétichistes. Le fétichisme, le masochisme et le sadisme deviennent des paraphilies lorsqu'elles sont ESSENTIELLES à la sexualité et au plaisir sexuel et érotique.  Si le soulier ou la fessée font partie d'un large registre sexuel et érotique, il ne s'agit pas de paraphilie.

Soit dit en passant, les personnes qui ont ce type de pratiques vont plus rarement consulter en sexologie clinique. Étonnant n'est-ce pas? Mais attention, ne faites pas de raccourci intellectuel; le sadomasochisme n'est pas LA pratique qui règle tous les problèmes. Il n'y a pas d'étude qui donne de réponse claire sur ce sujet, mais il est possible d'avancer des hypothèses.

Le consentement
Dans le livre et dans le film "50 shades of Grey", il est clairement mis de l'avant que le personnage de Grey propose un contrat à Anastasia et que les pratiques sexuelles acceptables ou non pour l'avenir sont le fruit d'une discussion et d'une négociation. Les deux personnes doivent donner leur consentement libre et éclairé sur les pratiques sexuelles. C'est exactement ce qui se passe dans le monde sadomasochiste: les personnes établissent des contrats écrits ou verbaux pour convenir de ce qui est acceptable et conviennent aussi d'un mot de code à énoncer si le ou la dominante excède la limite de la personne dominée. Si la personne masochiste énonce le mot de code, la personne dominante cesse.
 
On peut être d'accord ou non avec les pratiques sadomasochistes, on peut les comprendre ou non, mais on ne peut pas nier qu'il y a plus de consentement libre et éclairé dans ce type de pratiques que dans la majorité des pratiques sexuelles dites "normales" dans la population générale. Rares sont les personnes qui prennent le temps de discuter des pratiques qu'elles acceptent et celles qu'elles n'acceptent pas. Combien de fois j'ai entendu des femmes raconter que leur partenaire avait éjaculé dans leur bouche sans qu'elles le souhaitent? Qu'ils leur tapaient les fesses sans qu'elles le souhaitent? Qu'ils tentaient la pénétration anale sans qu'elles le souhaitent? Souvent. Très souvent. Si je n'en ai pas parlé dix fois sur ce blogue, je n'en ai pas parlé une fois: ce qui distingue une agression sexuelle d'une relation sexuelle, c'est la notion de consentement libre et éclairé. Et dans les pratiques sadomasochistes, les vraies, le consentement est là. D'ailleurs, les personnes qui pratiquent le sadomasochisme sont souvent plus à l'affut des réactions de leur partenaire pour s'assurer que les limites ne sont pas dépassées. C'est exactement pour cette raison aussi que l'argument de Gomeshi invoquant ses pratiques sexuelles sadiques avec les femmes qui ont porté plainte contre lui ne tient pas la route. S'il avait vraiment été un adepte du sadomasochiste, il aurait eu des ententes avec ses partenaires et celles-ci y airaient consenties, car les ententes auraient été mutuellement négociées.

Avoir la capacité de poser ses limites et de les négocier est clairement un avantage pour vivre une vie sexuelle épanouie et satisfaisante. Ce ne serait donc pas le fait de pratiquer le sadomasochisme qui serait l'ingrédient gagnant d'une vie sexuelle épanouie, mais la capacité de ces adeptes de nommer et de négocier leurs limites. Une personne qui a de la difficulté à nommer ce qu'elle aime et ce qu'elle n'aime pas ne devrait pas pratiquer le sadomasochisme, car elle se met ainsi à risque de blessures morales et physiques importantes.

Plusieurs personnes ont la pensée magique de croire que l'autre devrait savoir ce qu'elles aiment et ce qu'elles n'aiment pas, sans avoir à le nommer, et ce, dans la vie de tous les jours comme dans leur sexualité. S'attendre à ce que l'autre devine et fasse don de télépathie est s'exposer à beaucoup de frustrations et d'insatisfactions. Bien sûr, nommer ses besoins et ses attentes, c'est aussi se rendre vulnérable: vulnérable au sentiment de rejet si l'autre refuse ou si l'autre s'indigne de notre demande. Mais la réelle intimité, c'est aussi celle dans laquelle deux personnes ont la capacité de se montrer vulnérables et de se faire confiance. C'est vrai pour l'expérimentation de pratiques sadomasochistes, mais c'est surtout vrai dans les pratiques sexuelles de tous les jours dites "normales".

Donc si je peux me permettre un conseil: avant de songer expérimenter des pratiques sexuelles qui éprouveront vos limites physiques et psychologiques, assurez-vous d'être en présence d'une personne en qui vous avez confiance, avec qui vous vous sentirez capable de nommer vos goûts et vos limites, mais surtout, dont vous avez confiance que ces limites seront respectées en tout temps.