Le film 50 shades of Grey est sorti
officiellement depuis moins de 2 jours et le nombre de critiques qui "spinnent" sur le sujet est impressionnant. J'ai moi-même fait une critique de la sortie du film en deux billets ici et ici. Je trouvais pertinent de revenir sur certains
débordements que la sortie du film suscite, notamment en ce qui concerne
l'implication des journalistes dans le débat et la place qu'on accorde aux
femmes dans le sadomasochisme.
Les critiques culturels,
éditorialistes et journalistes
Être journaliste demande une très grande culture
générale. J'admire beaucoup le travail des journalistes parce qu'il faut couvrir
des sujets pour lesquels les personnes ne sont pas expertes en rendant les
nouvelles digestibles pour les lecteurs, auditeurs, etc. Ce n'est pas toujours
évident, j'en conviens. Par contre, je constate, pour la couverture de ce film,
un grand manque de rigueur journalistique. Ce que je constate de la part de
plusieurs journalistes aujourd'hui, je le constate aussi de la part de certaines
personnes dans les écoles et les commissions scolaires, de plusieurs parents et
d'intervenants dans les organismes communautaires lorsqu'on aborde le dossier de
l'éducation à la sexualité à l'école. Plusieurs de ces acteurs semblent se dire
"Moi j'ai une sexualité, donc mon avis et mon expérience personnelle de la
sexualité sont des expertises; ma sexualité est un outil de formation et un
baromètre social sur ce qui est acceptable ou non". Une personne restera
toujours l'experte de sa propre vie sexuelle. Mais avoir une vie sexuelle ne
fait pas d'une personne une experte en la matière. Faire de l'éducation à la
sexualité, critiquer un phénomène sexuel, amener les gens à réfléchir sur un
thème sexologique en étant capables de prendre une distance par rapport à sa
propre sexualité, ce n'est pas inné. C'est pour cette raison qu'il existe une
formation au baccalauréat en sexologie: c'est pour acquérir cette expertise.
Avec 180 collègues, nous en avions parlé ici.
Tout le monde a droit à son avis personnel. Tout
le monde a droit et ses goûts. Mais il faut être capable de faire la distinction
entre "Moi ça ne me convient pas, mais maintenant que c'est dit, voici mon avis
sur le sujet:..." comme le fait la femme dans ce débat à Bazzo.tv. Malheureusement, une
bonne proportion de journalistes et de chroniqueur en sont allés de leur avis
sans avoir fait de recherche sur la sous-culture sadomasochiste. J'ai entendu
des journalistes et des chroniqueurs dire: "Je n'ai rien contre le
sadomasochisme, mais soumettre une femme dans des relations sexuelles, on es-tu
revenus dans les années 50?"; ce que ces journalistes décrivent comme étant
dérangeant, C'EST du sadomasochisme. En contrepartie, je n'ai entendu aucun
journaliste dire "Je suis contre les pratiques sadomasochistes" Je ne vois pas
quel est le problème à dire "Je suis contre le sadomasochisme". On dirait que
les journalistes se sont donné le mandat d'avoir l'air cool et ouverts aux
sexualités, mais qu'en même temps, leur prise de position et leur discours sont
complètement contradictoires. Est-ce parce qu'ils n'ont pas pris le temps de
faire de recherche pour comprendre en quoi consistait le sadomasochisme ou parce
qu'ils ne sont pas capables de prendre de distance par rapport à leur propre
vie? Je ne sais pas. Mais le résultat reste le même: il s'est dit beaucoup de
n'importe quoi sur le sadomasochisme. Il s'est aussi dit beaucoup de n'importe
quoi sur le film et le livre par des gens qui n'avaient ni lu l'un ni vu
l'autre.
Critiquer un film pour sa direction photo, sa
réalisation et le jeu des acteurs en tant que chroniqueur culturel, c'est
parfait. Mais aborder l'aspect sexuel du film en maintenant un niveau acceptable
de professionnalisme nécessite de faire des recherches sur le thème et de faire
appel à des gens qui le connaissent pour être en mesure de bien le présenter, le
nuancer et le critiquer.
Le sadomasochisme et les
femmes
Un autre aspect que je trouve dérangeant dans
cette couverture médiatique, c'est qu'encore une fois, on dit "Je n'ai rien
contre le sadomasochisme. Mais..." Mais on est dérangé par le fait que la
personne masochiste dans la dyade soit une femme. Faut-il que le sadomasochisme
concerne un homme soumis et une femme dominatrice pour qu'il soit acceptable? Si
c'est la femme qui est soumise et l'homme qui est dominateur, revient-on
nécessairement 50 ans en arrière ou sommes-nous automatiquement en présence
d'une dynamique de violence conjugale? Je suis tout à fait consciente que les
frontières entre ces différents phénomènes sont très minces. Il est toujours
plus facile de rester dans les exemples caricaturaux où tout est blanc ou noir.
Mais la vie, sans vouloir faire de jeux de mot poche, est plus souvent faite de
nuances de gris.
J'ai déjà parlé des fantasmes chez les femmes,
dont le fantasme de soumission volontaire, communément appelé le "fantasme du
viol", qui figue parmi les trois fantasmes les plus populaires chez les femmes
(Crépault, 2007). J'en ai longuement parlé dans ce billet pour expliquer que fantasmer sur le viol ne
signifiait pas "souhaiter se faire violer", bien au contraire. Il semble
choquant pour beaucoup de personnes d'accepter que des femmes fantasment sur la
soumission ou aiment baiser. Pas faire l'amour, mais baiser. Il semblerait qu'il
soit acceptable que les femmes fassent l'amour tendrement, mais pas d'avoir des
relations sexuelles très crues. J'écrivais un billet récemment qui traitait des échecs du mouvement
féministe à rendre la vie sexuelle des femmes complètement libre. Malgré qu'on
dise que les femmes ont le droit de décider pour elles-mêmes, on peut
s'interposer dans leur vie sexuelle lorsqu'on juge qu'elles ne devraient pas
aimer ce type ou cet autre type de pratiques, pour les protéger d'elles-mêmes et
de la société. Ce double discours est aliénant et contribue davantage à garder
les femmes dans un rôle sexuel conservateur que de se libérer des racines
patriarcales.
J'ai souvent entendu des femmes dire "J'aime ça
me faire donner des claques sur les fesses! J'aime la baise animale! Je trouve
ça excitant!" Est-ce que ça veut dire que ces femmes sont brainwashées?
Est-ce que ce type de relations sexuelles sont malsaines? Ça dépend. Ça dépend,
d'une part si les deux personnes ont consenti librement et de façon éclairée et
d'autre part, s'il s'agit de la seule méthode pour atteindre le plaisir sexuel.
Si la pratique est consentie et fait partie d'un large registre de pratiques
sexuelles pour atteindre du plaisir, on ne peut pas parler d'une sexualité
malsaine. Si cette pratique est la seule qui permet d'atteindre l'excitation
et le plaisir sexuel, la situation est différente. Quant au consentement,
s'il est absent, on parle alors d'agression sexuelle.
Je souhaiterais simplement attirer l'attention
sur l'importance de laisser les femmes libres de prendre des décisions pour
elles-mêmes, même si leur décision va à l'encontre de nos valeurs.
L'érotisation de la
douleur
Ce qui semble incompréhensible pour certaines
personnes, c'est d'accepter que d'autres personnes aient du plaisir sexuel en
incluant différentes formes des violences et de soumission. Il existe un exemple
commun qui s'apparente aux sensations recherchées dans le sadomasochisme: le
sport. Vous avez surement déjà entendu des personnes pratiquer un sport
expliquant à quel point ils aiment se pousser à bout, aller au-delà de leurs
limites, se dépasser. Plusieurs sportifs considèrent qu'il est nécessaire que ça
fasse mal lors de l'entrainement pour que ce soit un bon entraînement. Le flux
d'hormones qui circule dans leur corps est jouissif pour plusieurs d'entre eux
et le soulagement qui survient après, immense. C'est un discours très commun
dans le milieu du sport. Personne ne dit qu'il faille pratiquer le sport avec ce
niveau d'intensité. Mais il s'agit là d'une des façons de pratiquer le sport qui
n'est ni mieux ni pire que la personne qui fait des balades en vélo en ne
faisant pas augmenter son rythme cardiaque.
C'est la même chose pour les pratiques
sadomasochistes, dont j'ai traité longuement dans ce billet. Il ne s'agit pas ici de tomber dans la morale
"Est-ce bien ou mal de pratiquer le sadomasochisme?" Il s'agit plutôt de dire
que ces pratiques sexuelles existent et que si elles sont pratiquées par des
personnes qui ont donné leur consentement libre et éclairé, elles peuvent être
saines. Maintenant, est-ce que comme sexologue clinicienne, je pourrais
"prescrire" ce type de pratiques à des couples qui viendraient me consulter?
Non. Je serais extrêmement étonnée que ça arrive un jour. La pratique du
sadomasochisme, c'est comme la pratique de l'escalade sans
corde; il est extrêmement risqué de s'adonner à ces pratiques sans avoir une
très bonne connaissance de ses limites psychologiques et corporelles. On ne
décide pas un matin d'escalader une falaise de 100 pieds sans corde si on n'a
jamais essayé l'escalade. C'est la même chose pour le sadomasochisme; il s'agit
d'une pratique qui peut être saine lorsqu'elle est pratiquée par deux personnes
capables de nommer leurs limites et respecter celles de l'autre. Faire le choix
d'instaurer ce type de pratiques dans le cas où une situation de couple va mal
et que la communication est difficile est un suicide relationnel et une porte
ouverte vers beaucoup de souffrances psychologiques. Le canal de communication
avec l'autre doit être limpide et la capacité de rester alerte aux limites de
l'autre primordial pour que la pratique du sadomasochisme soit saine et
sécuritaire. Sans quoi, ce ne serait plus du sadomasochisme: ce serait un
sadique qui agresse une personne qui n'a pas consenti. Comme ça semble être le
cas dans l'histoire Gomeshi.
1 Commentaires
Ton précédent était tout aussi bont, où tu parlais du prétexte de ces jeux...qui cachent d'autres éléments des interrelations mal géré de nos vies.
Trop de personnes dont les journalistes parlent du BDSM sans en connaitre 1/10 du sujet. Trop de gars et même des femmes improvisent aussi dans le domaine.
Je suis un homme début 50e. Je pratique le BDSM depuis plus de 15 ans...Je connais toutes les techniques..et les pratiques. C'est un jeu...sérieux qui doit être "planifié" de A à Z avant le jeu.
En conclusion de ce bref commentaire pcq je pourrais en parler très longtemps, sans faire de jeu de mots incongru, tu donnes une bonne claque sur la gueule aux féministes encore sexuellement frustrées...Elles n'ont rien comprises...encore..