Hier soir, je voyais passer sur mon fil de nouvelle la lettre de démission du PDG du CHUM,
Monsieur Jacques Turgeon. Dans sa lettre, Monsieur Turgeon invoque que le
ministre Barrette et le cabinet du ministre lui demandent de maintenir en poste
un cadre accusé de harcèlement et d'intimidation, le docteur Harris. Monsieur
Turgeon invoque aussi que deux comités de sélection se sont penchés sur la
candidature de monsieur Harris et que chacun de ces deux comités a recommandé, à
l'unanimité, de ne pas reconduire le contrat de Monsieur Harris.
Lors d'un point de presse, le ministre
Barrette a parlé de la situation comme "d'une guerre de clans" et défend son
ingérence en défendant l'idée que son projet de loi 10 nécessitait une
transition harmonieuse et, par le fait même, le maintien des cadres en place
pour faciliter cette transition. Je me garderai de commenter en détail les
impacts du projet de loi 10 sur la population, sur les structures, sur les
personnes travaillant dans le réseau de la santé et des services sociaux, car ce
n'est pas là mon expertise. Je me contenterai de dire que ce projet de loi est
une catastrophe annoncée par à peu près tous les acteurs au sein du réseau,
comme en fait mention ici le député de Rosemont, Monsieur
Jean-François Lisée (transparence totale: Monsieur Lisée est mon parrain). Par
contre, ce que je prendrai le temps de commenter, c'est à quel point
l'incapacité de Monsieur Barrette de faire la distinction entre "une chicane" et
"une dynamique de violence" m'horrifie.
Une guerre de clan ou de la violence?
Je constate depuis de nombreuses années que beaucoup de personnes dans la
population ne font pas tellement la différence entre "des chicanes", des
conflits et des dynamiques de violence. Ce fut mon travail durant de longues
années de faire de la sensibilisation dans différents milieux pour traiter de
ces différences et sensibiliser les gens aux nuances importantes à apporter. Il
arrive que les gens soient confondus, car dans les deux cas, le ton peut monter
et des insultes peuvent être proférées. De plus, dans chacune des situations, il
est possible que les personnes de part et d'autre ne se sentent pas bien. Par
contre, il y a plusieurs différences majeures à amener pour distinguer les deux
types de situations, car si en apparence, elles peuvent sembler pareilles, les
intensions et les conséquences sont complètement différentes.
Dans le cas d'un conflit ou d'une chicane, chacune des parties présente son
point et souhaite convaincre l'autre d'adhérer à son avis. Lorsque l'autre ne se
range pas à sa position, un conflit peut émerger. Dans le cas de la violence,
une des personnes est prête à tout pour "gagner le point". La personne qui
souhaite gagner perçoit qu'il doit y avoir un gagnant et un perdant et que ce
perdant devra se soumettre à lui ou elle. La différence, c'est qu'en cas de
conflit, il peut y avoir une grande charge émotionnelle associée à la situation,
mais c'est le sujet de la discussion qui est l'enjeu et non d'avoir le contrôle
de la situation. La dynamique relationnelle dans les deux situations est donc
complètement différente entre les individus concernés. Dans le cas de la
violence, il y a un rapport de force, car il ne s'agit pas de vouloir être dans
la même équipe que l'autre et de partager le même avis, comme dans le cas d'un
conflit, mais d'être le chef d'équipe qui décide et que les autres acceptent son
pouvoir et se soumettent à sa volonté.
Harcèlement de la part d'un patron?
Il n'est pas rare qu'on observe, dans des milieux de travail, des situations
de harcèlement de la part des patrons. Plusieurs personnes ont du mal à
identifier ces situations, car il existe, dans la gestion hiérarchique,
plusieurs situations qui s'apparentent au harcèlement. Dans la gestion
hiérarchique, plus une personne est dans le haut de la pyramide, plus elle a de
pouvoir décisionnel dans un organisme. Un patron a donc plus de pouvoir
décisionnel dans l'organisme que l'employé à sa charge, par exemple, sur
l'organisation des horaires, sur la charge de travail, sur les politiques à
mettre en place, etc. Par contre, ce n'est pas parce que le patron a le pouvoir
sur les décisions concernant la gestion qu'il a tous les pouvoirs. Un patron
est une personne qui a plus de responsabilités de gestions, mais il n'a pas
nécessairement plus de compétences. Par exemple, une personne avec un diplôme en
gestion n'a pas les compétences d'une personne en soins infirmiers, en sexologie
ou en psychologie. Ce gestionnaire a donc la responsabilité de questionner son
"équipe soignante" pour vérifier si les politiques de gestions sont cohérentes
avec les soins à fournir, les codes de déontologie des différents Ordres
professionnels, etc. Dans une équipe où la gestion est saine, il existera un
travail d'aller-retour entre un patron et son équipe: le patron sera en mesure
d'entendre la réalité du terrain et les personnes sur le terrain seront en
mesure de respecter certaines considérations administratives. La décision finale
reviendra au patron et il est possible que l'équipe émette des insatisfactions.
Il peut même y avoir des conflits à propos de certaines politiques et il sera
possible d'en discuter sainement, même si un conflit surgit.
Dans le cas où un patron aura mal saisi les limites de son pouvoir, celui-ci
pourra tenter d'élargir son pouvoir en tentant de soumettre les individus plutôt
qu'en acceptant que son rôle comporte la part indigne d'entendre et de recevoir
les insatisfactions des employés. Un patron qui outrepassera son pouvoir
pourrait croire qu'il peut se permettre de parler aux gens de n'importe quelle
façon, car son titre de patron lui permet. Un patron pourrait essayer de
"casser" des individus pour que ceux-ci se soumettent, et ce, à n'importe quel
prix. L'objectif pour ce type de patron n'est pas qu'il y ait un retour à
l'harmonie, mais une compréhension que "c'est lui le boss et que les autres
n'ont pas à remettre en question son autorité". Ce désir de "casser" un employé
peut se présenter de toutes sortes de façon: tenter d'isoler la personne qui
remet en question les politiques en la méprisant, en l'isolant, en remettant en
question son professionnalisme, etc. Le but de la manœuvre vise à soumettre la
ou les personnes qui ont un avis différent et non de les convaincre de se
rallier à lui.
Maintenir en place un patron intimidant pour faciliter la
transition?
Le ministre Barrette propose donc de maintenir en poste un homme qui est
accusé de harcèlement et d'intimidation pour assurer le suivi. D'une part, je
dois reconnaître que je n'ai pas participé à ce dossier et que je n'ai pas
moi-même analysé les faits concernant l'histoire de harcèlement. Par contre, ce
que je sais, c'est que la majorité des situations de harcèlement restent
muettes. Je sais aussi qu'il est extrêmement difficile de monter un dossier pour
accuser une personne de harcèlement, car souvent, les personnes qui harcèlent le
font de façon sournoise, lorsqu'il y a moins de témoins, etc. Dans la majorité
des cas, lorsqu'un organisme réussit à monter un dossier de harcèlement, c'est
qu'il y a BEAUOUP de preuves pour étoffer l'accusation. Je ne remets donc pas en
doute que cette situation est réelle et que le docteur Harris ait bel et bien
harcelé et intimider des collègues de travail, dont des employés à sa
charge.
Dans ce cas, comment est-il possible de croire que le maintien en poste d'une
personne qui exerce de la violence sur son équipe de travail puisse contribuer à
la transition harmonieuse des pratiques professionnelles dans la reconfiguration
majeure de l'organisation? Il n'existe pas de lien de confiance entre un
harceleur et ses victimes. Un harceleur n'est pas un leader; les gens ne le
suivent pas pour son charisme et la confiance qu'ils ont en lui. S'ils le
suivent (et je dis bien "si"), c'est parce qu'ils ont peur des représailles qui
pourraient survenir s'ils ne le suivent pas.
Ce que le ministre Barrette est en train de dire à la population en demandant
que Monsieur Harris reste en place, c'est qu'il prône la violence pour arriver à
ses fins. Que tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, y compris la
violence, et qu'il est de bon augure qu'une personne qui a efficacement démontré
qu'elle utilisait la violence soit en poste pour cette transition.
Il est horrifiant de constater qu'un ministre qui a en charge le secteur des
services sociaux, le secteur qui s'occupe d'offrir des services psychologiques à
la population, notamment à la population qui vit du harcèlement et de la
violence de toutes formes, prône la violence. Quel avenir le ministre
réserve-t-il aux organismes qui font de la prévention et de l'intervention par
rapport à la violence s'il valorise l'utilisation de la violence? Je ne serais
pas étonnée que le ministre annonce des coupes dans ces services dans les
prochains mois, car pour lui, la violence ne semble pas un problème à éradiquer,
mais un outil de gestion efficace à promouvoir s'il permet de faire des
économies.
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