Il y a quelques années, je travaillais pour le Réseau québécois d'action pour la santé des femmes sur un projet qui s'intitulait "Pour une mode en santé". Le projet visait à entrer en communication avec différents acteurs de l'industrie de la mode et des médias pour les sensibiliser au fait que le modèle de beauté des femmes qu'ils proposaient était, pour la plupart du temps, toujours le même: celui d'une femme toujours plus jeune, plus mince et plus sexy. L'objectif était d'entamer un dialogue pour voir de quelle façon il était possible de diversifier le modèle proposé. Non pas pour proposer un nouveau modèle unique différent, mais bien pour voir comment les images pouvaient être davantage diversifiées.

Ce projet était un défi immense en soi et m'a amené à rencontrer différents types de personnes qui avaient des discours parfois effrayants et parfois éclairants sur l'industrie. Autant je me souviens d'un professeur en commercialisation de la mode impliqué dans la Semaine de la mode de Montréal qui me disait que "les grosses" avaient déjà été à l'honneur dans le mannequinat en me citant Claudia Schiffer en exemple, autant j'ai rencontré des professeures dans la même industrie motivées à modifier la façon dont on enseignait le dessin aux futurs designer pour qu'elles soient habiletées à dessiner des vêtements à partir de proportions réels (faire disparaître les proportions dites de "11 têtes", pour les connaisseurs).

J'ai participé à des tables rondes avec différentes personnes de l'industrie où des haut.e.s placé.e.s expliquaient que même si on interdisait l'utilisation de photoshop pour retoucher les photos, nous ne ferions que déplacer le problème, car l'industrie allait se tourner vers des mannequins encore plus jeunes. Un directrice d'agence de mannequins nous informait que malgré les nouvelles normes en vigueur dans certains défilés pour mettre un poids plancher pour les mannequins (IMC d'au moins 18), celles-ci n'avaient jamais été aussi maigres sur les cat walk. Un travailleur de l'industrie du marketing me disait que ses pubs de bière préférées étaient celles où le produit était mis en vedette simplement, mais que les focus groupes se plaignaient qu'il n' avait pas de "pitounes". Ce que je constatait aussi, c'était le nombre de personnes dans cette industrie intéressées à opérer des changements, mais qui me parlaient du marché du Québec trop petit pour aller à contre-culture sans risquer que leur entreprise sombre. Je voyais souvent des gens qui se sentaient impuissants et qui ne savaient pas par où commencer.

Dans les dernières années, j'ai vu l'industrie présenter de plus en plus de modèles aux âges diversifiés et aux corps diversifiés. Ce marché reste encore hors norme, mais on en voit de plus en plus. Toutefois, on ne peut pas dire que la banalisation de l'érotisation dans l'espace public ait tellement diminuée. Je me souviens que lorsque j'étais en charge du projet, cette situation était de taille, car la question restait: "Quels sont les critères pour "coter" une publicité comme érotique ou non?". L'idée ici n'était pas de diversifier les modèles érotiques, mais de trouver d'autres angles de ventes que celui de l'érotisation du produit. Je me souviens qu'à l'époque, une étude  (dont le lien direct ne semble plus exister) avait été effectuée au Québec durant la semaine de la publicité et en arrivait à la conclusion que l'humour faisait plus vendre que le sexe (au Québec en tout cas). Mais au Québec, on ne voit pas que les pubs produites au Québec. Cette situation de l'érotisation des publicités semblait être un élément plus difficilement contestable auprès de l'industrie à l'époque; j'entendais beaucoup de discours ambivalent quant au fait que c'était souvent trash, mais incontournable. Rares étaient les personnes de l'industrie prêtes à prendre position publiquement par rapport à l'érotisation de l'espace public.

Cette publicité m'a donc interpellée ce matin. Des stunts d'OBNL qui dénoncent l'érotisation de l'espace public, j'en ai vu plein. J'ai aussi vu certaines compagnies comme Dove la dénoncer, mais son propriétaire, Unleaver, produit les publicités dénoncées avec sa compagnie "Axe"; on y comprend davantage qu'il s'agit d'une question de gros sous. Mais ici, on voit une agence de pub qui décide de faire cette sortie publique dénonçant cette érotisation et cette objectivation des femmes. Il semblerait que cette même agence (Badger & Winters) a déjà produit les publicités dénoncées, mais qu'elle décide aujourd'hui de revoir sa conception de la publicité. Est-ce que c'est parfait? Non. Est-ce suffisant pour qu'on tourne la page? Non. Mais c'est déjà un changement de paradigme que l'industrie elle-même (un de ses acteurs en tout cas) utilise son argent pour dénoncer un outil de vente omniprésent.

J'entend certaines de mes collègues féministes qui s'indigneront de la chute où on interpelle les hommes en leur disant que ces femmes sont peut-être leur mère, soeur, amie, etc. Cet argument est en effet un peu délicat, car il comprend une certaine partie de "ne touche pas aux femmes que tu connais et aime". Ça peut sous-entendre que les femmes inconnues pourraient, elles, continuer à être traitées comme des objets sexuels. Toutefois, je vois aussi cet aspect comme un premier pas imparfait dans la bonne direction. Le changement est souvent pavé de bonnes intentions qui s'articulent souvent un peu tout croche au début, mais le geste mérite très certainement d'être souligné quand même. Bon visionnement!