Ce matin, j'ai lu le texte de Sophie Allard dans la Presse plus ayant pour titre "Des hommes brisés" au sujet des hommes victimes de violence conjugale. L'ancienne coordonnatrice de la Table de concertation en violence conjugale et agressions à caractère sexuel de Laval en moi avait envie de répondre à cette journaliste, dont le traitement médiatique contribue au problème davantage qu'à la recherche de solutions. Voici le texte que j'ai fait parvenir au journal.

Bonjour,

Mon nom est Sophie Morin. Je suis sexologue et psychothérapeute et anciennement coordonnatrice de la Table de concertation en violence conjugale et agressions à caractère sexuel de Laval (TCVCASL). Je vous écris pour réagir à l’article « Des hommes brisés » de Sophie Allard. Je vais y aller directement; j’en ai marre, mais tellement mare de ce type de couverture médiatique concernant la violence conjugale. Mare de cette espèce de compétition qu’on tente d’établir entre la violence vécue par les hommes et la violence vécue par les femmes. Mare qu’on tente de laisser croire que les organismes féministes minimisent la violence des hommes.

Il faut très peu connaître l’histoire du mouvement des femmes pour tenter de laisser croire è cette compétition et à continuer de véhiculer des mythes et des stéréotypes ainsi. J’étais la coordonnatrice en place à la TCVCASL à son 25e anniversaire. J’ai retracé l’histoire de la création de cette table. La première du genre au Québec, qui regroupait alors uniquement les organismes en violence conjugale. J’ai interviewé les fondateurs.  Cette initiative a vu le jour par des groupes d’hommes qui se questionnaient sur la violence faite aux femmes qui sont allés tendre la main à des organismes pour femmes. C’est lors du premier colloque de la Table que le Ministre de l’époque a annoncé le premier plan d’action gouvernemental contre la violence conjugale. Ce fut là une des premières actions qui a transformé l’appellation « violence faite aux femmes » pour « violence conjugale ». Il s’agissait là d’une décision gouvernementale avec laquelle le mouvement des femmes n’était pas d’accord. Et avec laquelle beaucoup de groupes féministes ne sont pas d’accord, encore aujourd’hui. Quand on remet cette situation en perspective, on comprend mieux que les activistes féministes dans les groupes de femmes militent pour faire reconnaître la violence systémique vécue par les femmes. Elles ont cette lunette. Pour elles, la violence conjugale est l’une des formes de violence vécue par les femmes. Pas la seule.

Il est donc complètement hors propos de comparer la violence conjugale chez les hommes et chez les femmes, car elle n’a pas le même cadre théorique! Pas le même cadre théorique, mais exactement le même problème de socialisation sexiste, par contre. Si les femmes sont victimes de violence conjugale, c’est en grande partie à cause de la socialisation des hommes et des femmes où on juge (de moins en moins) normal qu’une femme réponde aux besoins de son partenaire, à tout prix. Si les hommes sont victimes de violence conjugale et ont du mal à aller chercher de l’aide et à être crus, c’est en grande partie à cause de la socialisation sexiste où on voit les hommes comme fort et invulnérables. Où l’on voit comme une atteinte à la masculinité un homme qui a besoin d’aide et qui serait victime. Même source à des problèmes différents. MÊME SOURCE! Pas des sources extraterrestres et opposées!

Non la violence conjugale n’est pas aussi présente chez les hommes que chez les femmes. Encore moins la violence que certains auteurs appellent « le terrorisme conjugal ». Et alors! Quel est le rapport de les comparer? En quoi ça aide les femmes? En quoi ça aide les hommes? En quoi ça met le focus sur la recherche de solutions? En quoi ça permet de se tendre la main pour que les hommes et les femmes travaillent ensemble? Ça ne sert à rien et à personne. Ça sème la zizanie pour dresser les ressources d’aide les unes contre les autres.

Je rêve du jour où on arrêtera de demander aux féministes qui travaillent à leur cause de changer de cause. Est-ce qu’on demande aux chercheurs qui font de la recherche sur les troubles alimentaires d’élargir leur champ d’expertise à la schizophrénie? Non. Ce serait complètement farfelu de le faire. Ce serait complètement hors sujet de les appeler pour une interview sur la schizophrénie. Pourquoi le fait-on pour un article sur la violence faite aux hommes? C’est hors sujet! Parlez-nous des besoins! Des lacunes! Des solutions! Des hypothèses! Des freins! Arrêtez de parler des ressources pour femmes pour parler de la violence vécue par les hommes. Parlez-nous des enjeux sociaux intrinsèquement liés à la violence vécue par les hommes. Combien de fois ai-je entendu des militantes féministes dire : « Ce n’est pas notre expertise. Nous ne pouvons pas nous avancer sur cette cause ». On reproche à des féministes de ne pas connaître la réalité des hommes. Est-ce qu’on reproche aux chercheurs sur les troubles alimentaires de ne pas avoir d’expertise sur la schizophrénie? Non. C’est la même chose! Arrêtons de comparer des pommes et des oranges. Regardons les oranges et tentons de les comprendre pour développer les ressources nécessaires sans regarder les pommes pour les rendre responsables.