Peut-être avez-vous-vu passer un article du Journal de Montréal qui couvrait l'histoire d'une psychologue qui a mis fin à un suivi thérapeutique avec son client pour entamer une relation amoureuse et qui a été mise à l'amende par l'Ordre des psychologues? Ce genre de situation est arrivée à quelques reprises dans les dernières années: une psy et son client, une prof et son élève. J'ai souvent vu des façons de rapporter la situation qui banalisaient la situation. Que l'adulte en position d'autorité soit une femme semble être un élément de banalisation supplémentaire. Comme cette couverture médiatique a un impact sur la façon dont le public perçoit les situations, j'ai décidé d'écrire au journaliste qui a écrit l'article. Je vous mets mon message plus bas pour vous aider à comprendre en quoi ce type de relation n'est pas "juste" une histoire amoureuse entre deux humains normaux.

Bonjour Monsieur Prince,

J'espère que vous allez bien. J'ai communiqué plus tôt avec vous concernant votre article de ce jour sur une condamnation d'une psychologue pour inconduite sexuelle.

Je souhaitais prendre le temps de communiquer avec vous, car ce sujet est un thème extrêmement mal compris du grand public... et de bien des thérapeutes. Beaucoup de personnes comprennent mal le problème lorsqu'un.e thérapeute change de rôle pour passer de psychothérapeute à celui ou celle d'amant.e. Je suis convaincu qu'en toute bonne foi, vous avez souhaité présenter les faits comme ils ont été présentés dans les documents officiels. Me permettez-vous de vous expliquer certains aspects?

D'une part, si je vulgarisais le processus de psychothérapie, je dirais que nous offrons deux choses aux client.e.s/patient.e.s: 1) un espace plus "maternant" d'amour inconditionnel, d'écoute, d'empathie, de sollicitude, de compassion. Un espace qui permet aux client.e.s d'aller toucher à leurs blessures, leurs vulnérabilités en toute sécurité pour tenter de comprendre qu'est-ce qui les amènent à souffrir, etc. La deuxième chose offerte en psychothérapie, est un côté plus "paternant", c'est à dire un espace balisé, encadré où les frontières seront posées par le/la thérapeute, un peu comme le ferait un bon parent. Ce côté paternant, c'est la capacité des thérapeutes à mettre des limites aux clients et d'explorer avec lui/elle de qu'elle façon la personne vit avec ces limites et ce cadre. C'est d'accepter la déception, la tristesse, la colère des clients lorsqu'on leur met un cadre en leur nommant qu'ils ont le droit de vivre ces émotions et que nous resterons là quand même. Que nous ne cesseront pas "de les aimer" (au sens thérapeutique et compassionnel). Tous les clients en viennent à vivre de la frustration plus ou moins grande envers leur thérapeute à un moment de la thérapie. Tous. Sans exception. C'est la capacité de résoudre cette impasse qui aura, bien souvent, un très grand rôle à jouer dans la thérapie.

Des thérapeutes qui auront des déclarations d'amour de client.e.s/patient.e.s, c'est assez banal. Tous les thérapeutes le vivront. C'est d'ailleurs un moment extrêmement riche pour la thérapie d'utiliser ces moments pour comprendre, avec le client, quel sens ça a pour lui/elle. Tel un adolescent à la puberté, les clients testent les limites, tout comme les limites de leur séduction. En arriver à séduire, la prof cute, tout comme la thérapeute cute, c'est extrêmement valorisant! On se sent avec de supers pouvoirs de séduction! Et comme thérapeute, tout comme parent ou comme prof, c'est notre responsabilité de personne en position d'autorité de remettre le cadre. De nommer l'impossibilité de cette relation. Par sécurité pour le client. Et de l'utiliser de manière thérapeutique. Par exemple, en n'ignorant pas ses allusions, même si elles sont déstabilisantes. En les nommant, en explorant le sens pour le client de faire ces allusions à sa thérapeute, en questionnant ses attentes par rapport à nous, en questionnant la fréquence de ce type de commentaires avec ses proches, les femmes, les hommes, etc. Le nommer et échanger sur le sujet est thérapeutique pour le client dans son cheminement.

Comme thérapeute, nous avons cette responsabilité. Lorsqu'un.e client.e tente de nous charmer ET que ça fonctionne, la situation est en train de parler de nous. Est-ce qu'en ce moment, je ne me sens pas comblée dans ma relation amoureuse? J'ai des enjeux personnels que mon client comble? Etc. En aucun cas, un client n'est sensé combler des carences de notre vie personnelle. Ni de connaître les carences de notre vie personnelle! Il est de notre responsabilité d'entamer un processus de supervision. D'aller voir un thérapeute senior qui nous aidera à dénouer cette impasse pour rester thérapeutique avec le/la client.e. Car ne l'oublions pas: la personne est venue nous consulter dans un état de détresse. Elle s'attend, à raison, que nous soyons cette personne qui assurera la sécurité de la relation. Y compris lorsque le/la client.e "testera" la relation. Comme les enfants qui testent les limites. Si un thérapeute est dans un état de vulnérabilité trop grand, il devient dangereux et il n'a plus la capacité d'aider son client. Pour aider les autres, il faut être capable de reconnaître ses propres limites et ses propres failles.

Un client qui tombe en amour avec sa thérapeute, c'est une personne qui tombe en amour avec l'image qu'on lui renvoi de lui-même. Cet homme ne connaissait pas cette femme. Il connaissait la thérapeute. Monsieur-madame-tout-le-monde ont du mal à bien comprendre les enjeux de ces subtilités. Cette thérapeute, elle, les connaissaient.

J'imagine que si vous aviez couvert un procès d'une agression sexuelle sur un enfant, il ne vous serait pas venu à l'idée de présenter le cas en parlant de l'enfant comme la personne qui a initié les contacts, comme celui qui a voulu séduire l'adulte, comme une relation d'amour réciproque. Il n'y a pas d'amour réciproque dans une relation asymétrique de rapport de pouvoir. Les cas d'inconduites sexuelles sont l'équivalent des agressions sexuelles sur les mineurs au sens symbolique et juridique. 

Si cette thérapeute avait laissé ses intérêts personnels de côté, elle aurait attendu au moins un an avant de recontacter son ancien client avant de l'appeler pour un café afin d'apprendre à le connaître comme homme et non pas comme client. Dans le cadre de ces "dates", elle aurait aussi dévoilé des pans de sa personnalité de femme et non pas uniquement celle de thérapeute. Ce n'est que sur ces bases qu'une relation amoureuse aurait pu naître. Elle a fait le choix d'escamoter cette étape. On ne peut pas parler d'intérêt pour cet homme dans ce contexte.

Le travail de psychothérapeute est complexe et extrêmement exigeant. J'aurais envie de le mettre en gras et éclairé au néon le mot exigeant. Ce travail demande une connaissance de soi, une capacité à se remettre en question, une capacité à demander de l'aide au besoin, une nécessité d'avoir un équilibre de vie sain. Sans quoi, on glisse, on tombe, on commet des fautes professionnelles et on risque de détruire des vies qui étaient déjà détruites lorsqu'elles ont passées notre porte de bureau. Notre responsabilité est grande et si on fait le choix de ce métier, c'est que nous prenons l'engagement d'être extrêmement à l’affût de la fragilité humaine, y compris de la nôtre, et de prendre les mesures nécessaires pour "éviter de nuire", le premier précepte des sciences de la santé.

Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me lire et bonne continuation.

Pour les personnes qui se sont déjà retrouvées dans ce genre de situation et qui cherchez de l'aide, voici un site web avec plusieurs informations qui pourraient vous orienter.