Ce matin, une collègue m’écrit : « T’as trouvé ça dans tes recherches?? ». La collègue en question sait que je travaille actuellement sur une formation documentée sur les liens et les risques entre la sexualité et les troubles cardiaques pour les personnes qui ont eu des accidents cardiaques. Son étonnement suivait la lecture d’un article dans La Presse (article provenant de l'Agence France Presse)  qui titrait : « Le sexe risqué pour les hommes vieillissants ». J’admets être allée me préparer une tisane après la lecture de l’article du quotidien. Était-ce là le travail d’un journaliste avide de clics qui usait de sensationnalisme pour se faire un nom? Était-ce une recherche peu sérieuse et mal appuyée scientifiquement? Quoi qu’il en soit, on avançait que la satisfaction sexuelle des hommes âgés et les hommes actifs sexuellement étaient deux fois plus à risque de faire des accidents cardiaques sur une période de cinq ans (entre la première et la 2e prise de mesures). Ces résultats allaient complètement à l’encontre de mes recherches des deux dernières semaines.

Tisane en main, j’ai débuté la lecture de l’article scientifique soi-disant cité.  J’ose ici inscrire « soi-disant », car tisane ou pas, je juge scandaleuse la façon dont l’étude a été vulgarisée. On ne peut même pas parler de vulgarisation; il s’agit davantage de désinformation. J’irai donc en deux étapes : une première pour déconstruire ce qui était avancé dans l'article relayé par La Presse ce matin et une deuxième pour amener des nuances, des bémols et indiquer des faiblesses à l’étude.

Déconstruire les mythes relayés par La Presse

L’activité sexuelle comme facteur de risque pour les hommes vieillissants
Cet énoncé est faux. L’étude visait à comparer les différentes fréquences dans l’activité sexuelle. Il est vrai que des liens ont été faits entre une activité sexuelle plus soutenue, mais une grande partie des hommes de l’étude avaient des activités sexuelles modérées et il n’y avait aucun lien avec des troubles cardiaques. Les auteurs avaient comme hypothèse qu’une grande activité sexuelle pouvait être associée à de la compulsion sexuelle et des « tricheries » dans leur couple, ce qui pouvait faire augmenter le stress, qui causerait les soucis cardiaques. Tout cela reste une hypothèse non fondée par les résultats de l’étude; il est erroné de le présenter comme un fait.

La satisfaction sexuelle comme facteur de risque aux troubles cardiaques
Encore une fois, cet énoncé est faux. Il ne s’agit pas de dire que la satisfaction est un facteur de risque, mais de différencier les hommes qui se disaient extrêmement satisfaits (1 homme sur 3) des hommes satisfaits (2 hommes sur 5), des hommes insatisfaits (moins d’un homme sur cinq). L’aspect « d’extrême » ici méritera d’être regardé, plus loin.

Les femmes aux orgasmes intenses
L’étude ne fait nullement mention de l’intensité des orgasmes. C’est complètement hors sujet. L’étude mesure la satisfaction physique et émotionnelle en excluant l’obligation d’atteindre l’orgasme. La satisfaction pourrait être extrême sans l’atteinte de l’orgasme. L’étude ne fait pas l’utilisation de l’orgasme comme outil de mesure.

Différencier les hypothèses des faits
Dans toutes études scientifiques, les auteurs font des hypothèses, obtiennent des résultats et émettent des hypothèses pour expliquer leurs résultats. Toutefois, une hypothèse n’est pas un résultat. Revenons à nos notions de philosophie sur les sophismes : un chat a quatre pattes, une table a quatre pattes. Le chat est une chaise. Non. Ça ne fonctionne pas comme ça. Il est vrai que les auteurs disent que leurs résultats vont dans le sens de leurs hypothèses, mais certaines de ces hypothèses ne sont pas confirmées. Il est donc faux d’avancer que les stress et l’activité physique qui découlent d’une relation sexuelle a un plus grand impact avec l’âge; ça n’a pas été démontré par l’étude. Il est faux de dire que le taux de testostérone et l’utilisation de médicaments pourraient contribuer aux problèmes cardiaques.

Il est vrai que les auteurs tentent de dire que leurs hypothèses pourraient être vraies, Mais justement : pourraient. Ils ne l’ont pas démontré et ne disent pas non plus que ça a été démontré. Ils nomment que l’extrême satisfaction sexuelle et émotionnelle POURRAIENT être associées aux même personnes qui utilisent des IPDE5 (viagra, cialis, levitra), que ces personnes POURRAIENT utiliser des suppléments, POURRAIENT être celles qui ont des addictions sexuelles, que ces personnes POURRAIENT être sexuellement compulsives et impulsives. Tous ces pourraient POURRAIENT avoir des conséquences sur le système cardiovasculaire. On est loin de la démonstration du lien de cause à effet. Très loin même. Les auteurs ne tentent pas de dire qu’il existe des données scientifiques en ce sens. Il s’agit là d’une liberté journalistique abusive de l’auteur du quotidien.

Bémols de l’étude
S’il est vrai que les faits rapportés ne sont pas représentatifs de l’étude, l’étude, en elle-même, comporte des lacunes. En voici quelques-unes.

La sexualité, c’est quoi?
On parle des impacts de la sexualité pour avancer son lien avec les troubles cardiaques. Toutefois, les auteurs ont inclus uniquement les activités sexuelles avec un.e partenaire. Sont exclus toutes les activités sexuelles en solo et les rêves érotiques pour compiler les données.

Pourtant, ces deux éléments peuvent eux aussi créer de l’excitation et amener l’orgasme. Comment alors peut-on parler du lien entre « sexe » et « incidents cardiaques » si on exclut une bonne partie des activités sexuelles?

On sait, d’après les travaux de Masters et Johnson, que les périodes où la pression artérielle et le rythme cardiaque sont les plus soutenus sont les périodes de l’orgasme et la fin du plateau (période juste avant l’orgasme), et ce, peu importe la position sexuelle. Pourtant, la définition de « relation sexuelle » utilisée inclus tous les types de caresses, avec ou sans orgasme, sans inclure les données cardiaques ou artérielles des participant.e.s. Difficile donc de connaître la sollicitation du corps lors des relations sexuelles et d’en faire des liens sans ces données.

Le nombre de répondant
Un des éléments plutôt étonnant de l’étude était de constater la différence dans le nombre de répondant à l’an 0 et à l’an 5 (les deux périodes étudiées pour faire une comparaison). Pour la majorité des catégories, hommes et femmes ont répondues aux questions. Le taux de « réponse absente » tourne autour de 5% des répondants, ou moins, pour la majorité des questions, à l’exception des questions sur la satisfaction du plaisir physique et du plaisir émotionnel liés à la sexualité. Chez les femmes, 45% d’entre elles n’ont répondues ni à l’une ni à l’autre de ces questions à l’an 5 (période comparative). C’est énorme! Il est difficile de comparer les deux groupes (hommes et femmes) si la moitié d’un des groupes n’a pas répondu à la question. Il est questionnant aussi de voir que ces femems avaient répondues à l’an 0, mais pas à l’an 5. Que s’est-il passé? Bref, il est présomptueux de parler des différences entre les sexes avec un aussi grand manque de données.

L’adhérence à une vision plus traditionnelle de la masculinité?
Les auteurs en parlent eux-mêmes; leur étude fait fi des caractéristiques individuelles des personnes. On parle de leur degré d’éducation, sans parler de l’adhérence des personnes à une vision traditionnelle de la masculinité et de la féminité ou toutes autres caractéristiques personnelles. Les auteurs avancent l’hypothèse que les hommes dans des pratiques sexuelles fréquentes pourraient avoir davantage de compulsions sexuelles (utiliser la sexualité pour répondre à un autre besoin, pour calmer de l’anxiété, etc.) et auraient d’avantage d’activités sexuelles extra-maritales (non consensuelles avec la partenaire). Ce serait donc les risques d’être découvert et le stress qui en résulte davantage que l’activité sexuelle elle-même qui pourrait poser problème, selon les auteurs. Bref, être dans des pratiques sexuelles à risque, une des caractéristiques plus traditionnellement masculine que féminine. J’ai même consulté plusieurs études où on voyait que les hommes qui adhéraient plus strictement aux caractéristiques traditionnellement masculines avaient plus de risque de faire un nouvel incident cardiaque. Il serait nécessaire de regarder du côté de la construction de la masculinité, de la valorisation de la prise de risque, du dénigrement de « prendre soin de soi » lorsqu’on est « un vrai homme » comme facteur de risque. Il manque trop de données pour comprendre « Qui sont ces hommes à risque? » et comprendre « Qui sont ces hommes extrêmement satisfaits de leur sexualité » pour faire un simple lien entre « sexualité » et « trouble cardiaques ». Car si ce lien était une évidence, on le verrait aussi chez les femmes. Or, ce n’est pas le cas.

Modéré ou extrême?
Alors que l’étude relate que les hommes qui qualifient d’extrêmement satisfaisantes leurs relations sexuelles (au niveau physique et émotionnel) avaient plus de risques au niveau cardiaque, ce n’était pas le cas des hommes qui se disaient « très satisfaits ». Les hommes très satisfaisant représentent d’ailleurs plus de 40% des hommes et ne présentent pas davantage de risques d’incident cardiaques. Cette histoire « d’extrêmement » me questionne… Quel est le sens de cette satisfaction extrême? Doit-on en comprendre qu’aucune autre sphère de la vie des hommes amène autant de plaisir? Autant de proximité? Autant d’intimité? Il est difficile de le dire pour cette étude. On sait toutefois que les hommes qui adhèrent traditionnellement aux rôles de la masculinité passent surtout par la génitalité pour créer de l’intimité avec leur partenaire. On sait aussi que ce n’est pas le cas pour les femmes; celles-ci ont davantage de sphères de vie où elles sont capables de créer de l’intimité, y compris lorsqu’elles sont célibataires. En effet, la capacité de vivre des relations vraies avec un échange réel, qu’il soit génital ou pas, amènerait le même sentiment de proximité chez les femmes, que cette relation soit avec un.e ami.e, un enfant, un partenaire ou autre. C’est une hypothèse qui pourrait expliquer que les femmes auraient une perception différente d’une satisfaction extrême et vivraient des impacts différents.

Le sexe comme activité physique
Les auteurs de cette étude prennent le temps de mentionner que le sexe comme activité physique n’est pas suffisant pour expliquer de potentiels troubles cardiovasculaires. Une étude québécoise, effectuées sur des sujets complètement différents (des jeunes adultes) avaient même démontrés qu’une activité physique et une relation sexuelle effectuée avec le même niveau d’intensité sollicitait le système cardiovasculaire complètement différemment; le sexe exigeait deux fois moins du système cardiovasculaire que le jogging pour un même niveau d’intensité.

On sait donc que les hommes qui avaient des relations sexuelles au moins une fois par semaine ont démontrés un risque deux fois plus grand d’avoir des incidents cardiaques. On ne connait toutefois pas le nombre d’incidents cardiaques qui ont eu lieu. Si le nombre total est de 6, il voudrait dire qu’il y en a eu 2 chez les personnes avec des activités sexuelles faibles et modérées et 4 pour les personnes avec une activité sexuelle régulière. Est-ce parce que les chiffres sont trop faibles que les auteurs ne les ont pas inscrits dans leur étude? Parce que le double de 4 sur 1000 participant.e.s, c’est très peu.

En sommes…
L’article original avait pour objectif de réfléchir sur les liens entre une sexualité active et des incidents cardiaques, car peu d’études l’avaient fait avant. Des études traitent des risque de poursuivre dans une vie sexuelle active après un incident cardiaque, d’autres ont mesuré la charge énergétique de la sexualité sur le système cardiovasculaire, les impacts relationnels de l’absence de reprise d’une vie sexuelle après un incident cardiaque sur les hommes, les femmes, les couples, les conjoint.e.s. Plusieurs auteurs se sont intéressés aux liens entre une vie sexuelle active et le retour vers une meilleure santé après un incident cardiaque. Il est vrai que ce sujet n’avait pas été abordé. Il est vrai qu’il est compliqué de faire ce type d’études. Nous savons aujourd’hui que les hommes ont plus de facteurs de risque que les femmes. Il reste maintenant à comprendre « Pourquoi ». Il faudra faire preuve de patience et ne pas prendre des hypothèses pour des faits. Je ne suis toutefois pas prête à jeter le bébé avec l’eau du bain, car les chercheurs semblent avoir fait leur travail dans leur revue de littérature en préparation à la présente étude. Il faut seulement éviter de lui faire dire ce qu’elle ne dit pas.