Depuis 24 heures, j'ai été interpellée par une histoire relayée par les médias concernant un enfant qui a tenté d'embrasser et de toucher les organes génitaux d'une camarade de son groupe de camps de jour. Je ne relayerai pas les articles, car tous ceux que j'ai lus étaient réellement problématiques dans le traitement de l'information de cette situation. Je suis particulièrement interpellée par cette situation, car j'ai débuté ma carrière de sexologue en formant les moniteur.trice.s, les animateur.trice.s et les gestionnaires de camps de vacances et de camps de jour sur la sexualité des enfants et sur l'intervention appropriée dans les cas de dévoilement d'agression sexuelle. Je ne peux que constater que la situation a particulièrement été mal gérée, que le personnel n’avait pas la formation nécessaire concernant l’attitude à adopter dans les situations de dévoilements d’agression sexuelle et que le lien avec les familles a été inadéquat. Nous ne pouvons pas avoir d’action directe sur le passé ; il est toutefois possible de réparer ce qui a été créé, et ce, en parlant de la situation comme elle l’est réellement, sans minimiser, mais surtout, en la présentant franchement. Et présenter un enfant de 9 ans comme un agresseur sexuel est un réel problème.

Il est tout à fait humain qu'un parent soit alerté par le récit de son enfant qui a vécu cette situation. Cette fillette s'est fait agresser sexuellement; elle a vécu des touchers sans son consentement qui a atteint son intégrité physique et psychologique. Son sentiment de sécurité a été altéré par les gestes de cet enfant et par le mauvais encadrement du camp de jour. Il est important de prendre le sérieux de cette situation pour, d'une part, apaiser cette enfant en l'accueillant dans ce qu'elle a vécu, en lui permettant d'exprimer ce qu'elle ressent et en voyant les mesures qui lui permettront d'être en sécurité et de trouver réparation. Le sentiment de sécurité viendra aussi si elle est entourée d’adultes en mesure de réguler leurs émotions par rapport à la situation.

Ensuite, cet autre enfant de 9 ans qui a été intrusif sexuellement a eu des comportements inappropriés. Ces comportements méritent d’être observés avec attention pour bien en saisir le sens et amener l’intervention appropriée. Mais cet enfant n’est pas un agresseur sexuel. On ne parlera jamais d’enfants en terme « d’agresseur sexuel ». Jamais. Il s’agit d’un enfant de 9 ans. Pas d’un adolescent ou d’un adulte. C’est un enfant. Et les enfants apprennent par imitation et expérimentation. Qu’est-ce que cet enfant de 9 ans a souhaité obtenir dans ces "jeux" avec sa camarade ? Je ne peux vous le dire. Je ne connais pas cet enfant, je ne l’ai pas évalué. Je peux toutefois vous présenter plusieurs hypothèses possibles.

- Il a été victime d’agression sexuelle et reproduit ce qu’il a lui-même vécu;
- Il a vu des adultes avoir des comportements sexuels intrusifs comme ceux qu’il a adoptés (ses parents, des proches, la fratrie, des inconnus dans des endroits publics, des personnages de film ou de série);
- Il a eu accès à du matériel pornographique;
- Il a vu des adultes avoir des rapprochements sexuels consensuels et n’a pas saisi-ne s'est pas fait expliquer la notion de consentement;
- Il a entendu des enfants, des adolescents ou des adultes parler de sexualité en des termes non appropriés pour un enfant de 9 ans qui impliquait ces gestes, consensuels ou non;

Dans tous les cas, l’enfant a associé une charge émotive positive à ce qu’il a reproduit ou expérimenté. Il anticipait de tirer un gain de ce moment. Lequel? La situation ne nous permet pas de le savoir.

Mais comment un enfant a pu associer une charge émotive positive à un geste sexuellement intrusif ? Il a probablement été exposé régulièrement à un environnement qui fonctionne avec un rapport de force, c’est-à-dire qu’il a appris qu’il y a des gens à qui il faut se soumettre et qu’il reproduit, à son tour, une situation où il peut soumettre les autres. Ce modèle n’est en rien exceptionnel ; il représente la majorité des familles québécoises. C’est un modèle ou il faut écouter les parents, les professeurs et tous les adultes sans poser de questions. Que les adultes dictent les règles sans en discuter avec les enfants, car « ce sont les adultes et que c’est eux qui décident ». Un modèle qui escamote souvent le respect des plus vulnérables au détriment de l'efficacité et de la fonctionnalité. On ne parle donc pas d’un enfant qui vient nécessairement d’un milieu pauvre, sans éducation ou autre cliché. Cet enfant pourrait venir de n’importe quelle strate de la population, car socialement, on s’attend des enfants qu’ils «fassent ce qu’on leur dit de faire»; c'est ce qu'on valorise chez les "bons enfants", "les enfants sages". À ce sujet, une proposition au Code criminel canadien avait été soumise afin qu'on interdise les punitions corporelles chez les enfants au début des années 2000, mais cette proposition a été rejetée, car on souhaitait laisser aux parents cette possibilité sans être poursuivis. Cette disposition légale témoigne bien du déséquilibre qui existe entre la valeur attribuée aux adultes et aux enfants; alors qu'entre adultes, on peut poursuivre pour voie de faits, les enfants sont perçus comme étant "éduqués" ainsi.

Donc, un enfant qui n’aura pas de sentiment de liberté sur des aspects de sa vie pourra devenir intrusif envers lui ou envers les autres.

Que signifie « laisser libres les enfants »
Encourager la liberté des enfants ne signifie pas de ne pas les encadrer et de les laisser faire tout ce qu’ils souhaitent. Il s’agit de les laisser libres de leurs décisions dans les sphères qui concernent leur réalité quotidienne. Les adultes ont la responsabilité d’assurer la sécurité des enfants et mettront un cadre pour assurer leur sécurité. Les enfants auront ensuite la liberté d’explorer dans ces balises de sécurité. L’enfant pourra donc choisir ses vêtements, même s’ils sont dépareillés, sa coupe de cheveux, même si c’est un peu tout croche, la quantité de nourriture, car il est le maître de ses sensations corporelles, des gens à qui il a envie de faire des câlins, des personnes avec qui il a envie de partager du temps, des personnes avec qui il a envie de partager ses jeux, des jeux qu’il accepte de partager, des excuses qu’il sera prêt à faire. Comme adulte, vous pourrez sélectionner les jeux que vous leur présenterez, la qualité de la nourriture, les valeurs que vous portez et que vous présenterez dans vos propres actions, le choix des vêtements, etc. Mais vous n’avez pas de contrôle sur la façon dont votre enfant jonglera avec ces aspects. Si vous insistez pour qu’un enfant fasse un choix spécifique, vous entrez alors dans un rapport de force avec lui. Votre action sera probablement motivée par vos besoins (votre temps, votre sentiment de honte, vos craintes, votre peur du jugement, etc.) et non par ceux de vos enfants.

Bref, cet enfant est démonisé et présenté comme un agresseur sexuel, alors que dans les faits, il ne fait que reproduire certains aspects qu’on lui a enseignés. Un enfant qui se sent libre de ses actions, respecté et valorisé dans ce qu’il est comme personne n’aura pas d’intérêts à être intrusif de la sorte. S’il l’est, la situation n’inclue pas que lui et il est nécessaire de bien la comprendre pour intervenir sur les différents aspects pour que l’enfant puisse exprimer adéquatement ce qu’il souhaite. Ces deux enfants ont besoin de supports et de soutien. Ces deux familles ont besoin de support et de soutien. Et ce milieu de garde a lui aussi besoin de support pour bien intervenir dans les prochaines situations.