Vrak.tv a publié un article intitulé « 10 trucs pour réussir ton sexfie sans ruiner ta réputation ». Beaucoup de réactions ont eu lieu et plusieurs demandes médiatiques m’ont été faites en ce sens : « Vous en pensez quoi? Il me semble que ça n’a pas de bon sens. Parler des sexfies aux ados ça n’a pas d’allure. Moi si ma fille voulait envoyer des sexfies, je ne serais pas d’accord ».

Est-ce que l’article de vrak.tv sur les sexfies était pertinent? Il a été retiré, donc c’est difficile de parler sur ce texte précisément. Est-ce qu’il est nécessaire et pertinent de parler de sexfies aux ados autrement qu’en leur disant que c’est interdit? Oui. Est-ce qu’il est pertinent de travailler en réduction des méfaits, c’est-à-dire en donnant des trucs et conseils aux jeunes pour réduire les risques de leurs actions risquées? Oui. L’adolescence et la prise de risque vont ensemble et les adolescent.e.s ne vont pas arrêter de prendre des risques pour rassurer leurs parents. Ceux et celles qui évitent de contrarier leurs parents ne font que repousser leur adolescence, car pour devenir un.e adulte mature, il est nécessaire de passer par l’étape de la différenciation de ses parents. C’est inévitable.

Ce qu’il faut garder en tête, c’est que vos ados ne vont pas vous demander votre avis avant d’envoyer des sexfies. Par définition, l’adolescence est la phase dans le développement d’un être humain ou celui-ci ou celle-ci se distance de ses parents pour trouver d’autres modèles afin de poursuivre la construction de son identité. Les parents restent présents et importants, voire la principale source d’information au sujet de la sexualité. Il reste que pour explorer leur vie sexuelle, les adolescent.e.s ne demandent pas l’autorisation à leurs parents. Vous pourrez les influencer préventivement et la façon dont vous le ferez aura différents impacts.

Si depuis qu’ils sont enfants, vous avez établi un dialogue dans lequel vos petits ont la possibilité d’exprimer leur point de vue dans la différence, que la sexualité est un sujet qui peut être abordé, il est fort possible que vos ados vous questionneront sur ce que vous pensez, ce que vous avez déjà expérimenté, si vous avez des conseils, etc. Mais si la sexualité est un sujet tabou ou que votre discours sur la sexualité est « Pas tant que tu vas habiter sous mon toit, pas tant que t’auras pas 18 ans, juste quand tu vas être 100% prêt.e, que la sexualité doit avoir lieu exclusivement dans un contexte amoureux, que les filles qui s’intéressent à la sexualité sont des putes, que les gars sont potentiellement des agresseurs et qu’ils doivent respecter les filles, que la sexualité est sale, etc. », vous leur transmettrez de la peur au sujet de la sexualité. Tous sujets nécessitant d’explorer les zones grises de la sexualité seront exclus des discussions initiées par vos ados. Et si vous essayez de les aborder avec eux, ils risquent de vous mentir, car ils savent que vous êtes fermé.e.s ou rigides au sujet de la sexualité.

Une des vérités difficiles à entendre pour beaucoup de parents est que leur enfant grandit; il-elle est un adolescent.e qui expérimente son autonomie avec tout ce qu’implique l’exploration de l’autonomie; des erreurs, des dérapages, mais aussi des sources d’émotions fortes et des réussites.

Permettez à vos enfants de grandir. Et permettez-leur de grandir en étant présent.e à leurs côtés, peu importe s’ils-elles réussissent ou s’ils-elles se plantent. Que vous allez continuer de les aimer même s’ils-elles prennent des décisions qui leur attire des ennuis. Permettez-leur de réfléchir par eux même en leur apprenant à prendre des décisions libres et éclairées, et ce, même si vous êtes en désaccord avec leurs décisions. Leur permettre de prendre une décision libre et éclairée implique que vous n’allez pas les empêcher d’envoyer des sexfies, parce que de toute façon, ils-elles le feront dans votre dos s’ils-elles le souhaitent réellement. Nommez-leur que comme parent, vous allez mettre les filets de sécurité nécessaires et que vous ne les laisserez pas faire n’importe quoi. Mais vous avez la responsabilité de leur enseigner qu’ils-elles sont responsables et capables de réfléchir à la portée de leurs actions.

Mine de rien, donner des conseils sur « comment envoyer une photo de soi nu.e en évitant que ça vous suive toute votre vie », c’est utile. Pour tout le monde. Pour les adultes et les ados. Une personne qui aime les sensations fortes sera justement attiré.e par le « trill » que ça donne de faire quelque chose qui comporte un risque. S’exciter de « Je ne sais pas ce qui va arriver » est une composante saine de la montée du désir sexuel. L’autre composante est de s’assurer d’avoir une base de sécurité. Oui, dans un monde idéal, rempli de licorne, on pourrait faire confiance aveuglément à tout le monde. Oui, il est nécessaire aussi de s’adresser aux personnes qui reçoivent les sexfies en les responsabilisant sur l’aspect de partage privé vs partage public. Mais la personne qui l’envoie a elle aussi une responsabilité de s’assurer de sa sécurité et de ne pas se lancer dans le vide du 4e étage avec juste un casque de vélo.

Se questionner sur sa sécurité tout en s’excitant, ça peut être d’envoyer une partie de son corps sans montrer son visage, en prenant soin de ne pas montrer de signes distinctifs qui permettraient d’identifier une personne facilement. « Montrer seulement le corps sans le visage, c’est objectifiant ». Tout à fait. Et ça laisse place à imaginer le reste tout en assurant une part de sécurité. Oui, le risque que des pédophiles récupèrent les photos reste présent. C’est précisément l’idée de l’approche de réduction des méfaits; la solution est imparfaite et continue de comporter des risques, mais on gère un peu mieux le risque, sans qu’il soit complètement évacué.