En cette veille du 8 mars 2024 au cours de laquelle nous allons célébrer la Journée Internationale des droits des femmes, c’est la première fois de ma vie que j’utilise le mot « patriarcat ». Je n’aimais pas ce mot. J’ai compris la semaine dernière que je n’en avais jamais saisi le sens. J’ai compris que le patriarcat, ce n’était pas en lien ni avec le sexe ni avec le genre. 

C'est quoi le patriarcat?

Le patriarcat, c’est une posture; celle de « moi je sais et toi, non », même si c’est faux. Le patriarcat, c’est de l’abus de pouvoir avec un costume de bienveillance. Tu en a subis les frais plein de fois dans ta vie toi aussi. 

Le patriarcat, c’est ton parent qui te dis en gueulant et en te refilant une claque : « Respecte-moi, je suis ton père-ta mère! ». Le patriarcat, c’est un système à deux vitesses ou ceux en position de pouvoir ont plus de droits et de privilèges; on doit les respecter en tout temps, mais eux n’ont pas à le faire. Le patriarcat, c’est des personnes qui utilisent des procédés violents en invoquant que c’est pour ton bien. Dans le système patriarcal, on utilise l’humiliation comme procédé d’enseignement : tu es trop abruti pour avoir compris, tu mérites d’être humilié.

Le système patriarcal, c’est de recevoir deux émotions contradictoires en même temps : tu es trop débile pour réfléchir par toi-même, une partie de moi ressens du dégoût-du mépris-de la pitié pour toi (toutes des émotions dans le spectre du dégoût), mais en même temps, je suis une bonne personne et je t’aime, donc je vais t’aider.

Le patriarcat, c’est un système qui dépossède les gens de leur dignité et de leur humanité. C’est un système qui garde les gens aux statuts d’enfants, manquant d’autonomie.

Le patriarcat, c’est un système soutenu par des personnes qui manquent de compétences émotionnelles, interactives et réflexives pour être en mesure d’accompagner les autres dans le respect de leur dignité, sans chercher à prendre leur place.

Le patriarcat, ça part « d’une bonne place ». Mais déjà, cette racine est problématique. Si on part « d’une bonne place », on présume qu’il y a « une mauvaise place ». Déjà, on est dans une pensée clivée des bons et des méchants, du blanc et du noir. On est dans une capacité réflexive au stade neurologique d’un enfant de  moins de 7 ans. Vous avez bien lu. Si le développement se passe normalement, c’est vers l’âge de 12 ans que l’enfant aura développé sa capacité à réfléchir avec suffisamment de nuances pour sortir du noir et du blanc.

Donc le patriarcat n’a rien à avoir avec le sexe ou le genre; ça a rapport avec l’abus de pouvoir. Et si on dit « lutte à l’abus de pouvoir », je suis clairement sur la première ligne pour le dénoncer. Et vous?

Être privilégié; une immunité au patriarcat

Une bonne partie de ma vie, je ne comprenais pas trop les luttes féministes. Je trouvais qu’on n’en avait plus besoin. J’avais de nombreux angles morts; notamment, ceux de mes privilèges. Je suis une femme blanche, éduquée, intelligente, scolarisée, en santé, mince et qui correspond suffisamment aux critères de beauté accordés aux femmes. Je n’ai jamais souffert de pauvreté ou de faim, je ne me suis jamais senti en danger d’être expulsé de mon logis ou de mon pays. J’ai grandi dans un environnement féministe non-militant ou j’avais droit de parole, ou on m’a appris à argumenter adéquatement, on m’a enseigné mes droits et on les a respectés.

Tous ces privilèges sont des petits bouts de pouvoir. Et quand nous sommes en possession de nos pouvoirs, il est plus difficile pour les autres d’abuser de leur pouvoir. Ils doivent en avoir plus que nous pour être en mesure d’en abuser.

J’ai fait face à de l’abus de pouvoir dans ma vie; comme tout le monde. Mais j’avais suffisamment d’outils pour prendre la parole afin que le respect mutuel soit restauré et des formes de réparation soient mises en place.

Mes premières expériences de devoir subir de l'abus de pouvoir

C’est à 34 ans que j’ai vécu pour la première fois une situation d’abus de pouvoir éhonté où il n’y a pas eu de processus de réparation. À l’université. Où des professeurs dont l’Égo a été menacé ont abusé de la toute puissance que la liberté académique leur conférait pour chercher à m’empêcher de compléter ma scolarité. Dans la seule université canadienne où ce programme se donne. Ils ont utilisé des mécanismes qu’ils avaient le droit d’utiliser, mais dont le processus de réflexion éthique avait été calicé dans le broyeur avant d’entamer cette démarche. Ce processus m’a grandement traumatisée. Ces individus avec de grands pouvoirs n’ont pas eu la sagesse nécessaire pour porter l’immensité de leurs privilèges. Heureusement pour moi, la seule personne avec un veto, qui n’est habituellement pas utilisé dans ce contexte, possédait suffisamment de sagesse pour agir de façon juste et éthique. Mais je n’ai jamais reçu d’excuses de la part des représentants de ce système patriarcal pour avoir abusé de leur pouvoir d’une façon aussi honteuse.

Cette situation m’a « préparée » à ce qui m’attendait à mon Ordre professionnel. Car le système disciplinaire des Ordres professionnels est le parfait exemple d’un système patriarcal.

Le patriarcat et les Ordres professionnels

Créés dans les années 70, en même temps que l’assurance-maladie du Québec et les CLSC, les Ordres se voulaient un mécanisme permettant de régulariser les pratiques au sein de la profession afin de favoriser le travail interdisciplinaire au sein des milieux de soins publiques. Le citoyen étant mis au centre des soins de santé, il était normal de mettre en place un mécanisme lui permettant de signaler des pratiques problématiques, et ce, facilement, à la hauteur de ses compétences juridiques nulles (dans le sens d’absentes, ou presque, pour une grande partie).

Personne ne peut être contre ce système. Mais pour une raison que j’ignore, probablement un paquet de légers glissements, on est passé d’un système qui visait à protéger le public, en bon père de famille, juste et équitable à une chasse aux sorcières; les sorcières étant les professionnels qui n’agissent pas « en bons élèves ».

Le système disciplinaire des Ordres professionnels, c’est le parent négligent qui te dis qu’il n’a pas à te donner d’indications claires et précises, parce que tu es sensé déjà le savoir et que c’est pour ça qu’on t’a donné un permis, mais qui sort l’artillerie lourde si on soupçonne que peut-être que tu pourrais ne pas avoir agis en bon élève.

Juridiquement, détenir un permis de pratique professionnel est un privilège et les Ordres ont le pouvoir de nous le retirer si on ne se conforme pas aux règles déontologiques. Le problème, c’est que ces règles déontologiques se sont développées de sorte que la « protection du public » est devenue une protection à tout prix. Toutes les plaintes sont accueillies et des enquêtes ont lieu. 

La moralité d’une personne a été choquée parce qu’une collègue a inscrit sur son profil facebook personnel qu’elle est bisexuelle? On enquête. Un client en tabarnack avec un quotient émotionnel d’enfant de 2 ans en quête de vengeance et de destruction souhaite porter plainte? On enquête. Et tenez-vous bien; cette personne en quête de destruction avec un quotient émotionnelle d’enfant de 2 ans n’a même pas besoin d’avoir été notre client. Cette personne pourrait être un homme violent avec son ex-conjointe, et que, personnellement, on a eu envie de donner un coup de main, on enquête. Si un professionnel, dans le cadre de sa vie privée, recadre de façon sèche une personne immature et que cette personne porte plainte à l’Ordre, une enquête sera ouverte. Oui oui, vous avez bien lu. En 2024, avoir un permis de pratique professionnel, c’est être contraint, 24h sur 24h d’agir comme si nous étions dans le cadre de notre pratique.

La posture paternaliste de l’Ordre ne nous permet pas d’être une personne désagréable et de laisser la vie suivre son cours et de ne pas avoir d’amis si on est trop souvent désagréables. Parce qu’on a un permis de pratique, l’Ordre a le pouvoir d’enquêter sur notre vie privée si des personnes malveillantes portent plainte contre nous. Juridiquement, ils en ont le droit. Et ils utilisent ce droit.

Les graves dérives du patriarcat au sein des Ordres professionnels

Prenons un cas hypothétique; si une personne membre de l'Ordre des sexologues a eu personnellement une évaluation neuropsychologique couverte par le secret professionnel. Imaginons que cette neuropsychologue a des traits de grandiosité et se croit au-dessus des règles. Qu’elle aime bien sa cliente-sexologue et veux lui offrir de travailler à sa clinique, sans même avoir évalué son état psychologique. Toujours hypothétiquement, bien sûr. 

Imaginons que cette neuropsychologue narcissique ait réalisé que cette offre d’emploi n’était pas une bonne idée, car elle ne pourrait pas continuer de vaquer à ses occupations professionnelles grandioses si cette cliente-sexologue devenue collègue était dans les parages. Imaginons que cette neuropsychologue ait décide de retirer son offre, sans égard aux dégâts qui auraient pu être causés à sa cliente-sexologue. Imaginons que, dans un état de détresse, comme cliente, cette cliente-sexologue ait décidé d’envoyer chier sa professionnelle pour toutes ses fautes professionnelles. Toujours hypothétiquement, bien sûr. 

Et bien je vous informe que dans un tel cas de figure, cette neuropsychologue malveillante pourrait décider de briser le secret professionnel et porter plainte à  l'Ordre professionnel des sexologues du Québec en remettant un dossier falsifié  au sujet de sa cliente-sexologue afin de cacher les traces de ses fautes professionnelles et qu’une enquête serait ouverte. Que cette sexologue était une cliente dans la situation ne changera strictement rien; si une professionnelle avec un permis de pratique reçoit des accusations, une enquête sera ouverte sur elle, professionnellement, concernant ses agissements personnels comme clientes de services professionnels. 

Le Syndic de l’Ordre pourrait même appeler ses clients pour vérifier auprès d’eux si elle pourrait avoir parlé en mal de sa professionnelle de la santé. Parce que si une professionnelle a un permis de pratique, elle n’a aucun droit à la vie privée. Aucun.

Le « privilège » du permis de pratique nous dépossède de la possibilité de finir otre shift à la fin de la journée. Au nom « de la protection du public », le système patriarcal des Ordres professionnels nous traite comme des robots qui doivent agir en bonne élève en tout temps, en pouvant s'intégrer jusque dans nos processus thérapeutiques personnels.

Je vais le dire; c’est grave en tabarnack. C'est d'autant plus grave qu'autant invraisemblable que ce cas de figure semble être, ce n'est pas une situation inventée.

Le 8 mars en 2024, c'est toujours pertinent

Le patriarcat, c’est ça. Le patriarcat, c’est un Ordre professionnel qui en vient à vouloir nous protéger de nous-même et qui agit en parent hélicoptère. Le patriarcat, au sein des Ordres professionnels, c’est un système juridique terrorisant qui coupe les ailes et la capacité de réfléchir de façon calme d’une très grande partie de mes collègues qui vivent dans la peur constante de ne pas être des bonnes élèves. Le patriarcat dans les Ordres professionnels, c’est un système violent qui coupe la population de services de qualité, car les professionnels de la santé mentale n’en peuvent plus de prendre sur leurs épaules autant de pression, qui réduisent leurs heures de pratiques, qui délaissent le réseau public et qui songent abandonner leur permis de pratique.

Depuis plusieurs années, j’avais mis de côté mon étiquette de féministe. Mais en ce 8 mars 2024, j’ai envie de la reprendre et d’ériger un fuck you de la grosseur de la croix du Mont-Royal et de dire : « Fuck le patriarcat au sein des Ordres professionnels. Ce système violent doit changer. Et ça presse. »

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