Je viens d'écouter l'émission "Une pilule, une petite granule" sur les ondes de Télé-Québec. J'adore cette émission; les deux co-animateurs présentent souvent des sujets très intéressants ayant un lien avec la sexualité. Cette semaine, on nous a présenté un reportage sur deux jeunes filles ayant souffert d'anorexie et qui ont demandé à la ministre Christine St-Pierre de mettre en place un mécanisme pour enrayer les modèles de maigreur extrême présents dans l'industrie de la mode. Leur voix a d'ailleurs été entendue, car il existe maintenant la Charte québécoise pour une image saine et diversifiée (qui devait d'ailleurs s'appeler la Charte contre l'extrême maigreur avant les pressions de certains groupes, mais c'est une autre histoire).

À la suite de l'émission, on invite les téléspectateurs à répondre à une question sur le site Web de l'émission: "Trouvez-vous que la maigreur extrême est encore trop présente dans le milieu de la mode". J'ai décidé de donner mon opinion à ce sujet et je vous ai retranscris la réponse que je leur ai soumise. 

Bonne lecture!

Sophie Morin, Sexologue-Consultante


Je crois que la formulation "maigreur extrême" est problématique en soi, alors j'ai du mal à répondre à la question.

Qui peut réellement être "pour" quelque chose d'extrême? Personne ou presque! Et surtout au Québec où on préfère généralement la nuance.

Donc parler de maigreur extrême (et je suis tout à fait consciente que l'expression ne part de vous, mais du gouvernement et de sa charte) c'est ne faire face à aucun débat! Et c'est ça qui est alarmant, car il y a un débat à avoir! 

À peu près personne n'est pour la maigreur extrême et peu de personnes sont pour la maigreur, point. Par contre, on prône la minceur! 

Ce qui est délicat, c'est de déterminer où finit la maigreur et où commence la minceur? Et où finit la minceur et à partir de quand une personne est-elle ronde?

J'ai participé à un projet de sensibilisation de l'industrie de la mode pour promouvoir un modèle de beauté diversifié de femmes, car celui qu'on nous présente est toujours jeune, mince et sexy. Certaines personnes de l'industrie étaient tout à fait d'accord avec le concept et avec la promotion de la diversité. Vous savez ce qu'une de ces personnes m'a dit? "Avant, les grosses étaient à l'honneur: regardez Claudia Shiffer, elle a fait une grande carrière": CETTE PERSONNE CONSIDÈRE QUE CLAUDIA SHIFFER EST GROSSE!!! 

Et cette personne enseigne à l'École Supérieure de Mode de Montréal et participe à l'organisation de la Semaine de la Mode de Montréal!

Le fait d'utiliser l'expression "Contre la maigreur extrême" ne fait qu'évacuer les cas extrêmes de personnes anorexiques hospitalisées. Mais ça ne parle pas de la pression sociale à toujours être et rester minces. Ça ne fait pas la promotion de la diversité corporelle et de la beauté à l'extérieur de la minceur (on se souvient que Claudia Shiffer est sensée être grosse...). 

L'Institut national de santé publique du Québec a organisé toute une journée de conférences sous le thème des préoccupations excessives à l'égard du poids en 2008; c'est peu banal. 

Mais en 2003, lors des journées annuelles de santé publique, on parlait déjà de ce concept, car les préoccupations excessives à l'égard du poids touchent près de 50% des femmes québécoises ayant un POIDS  SANTÉ 

Aux yeux de la médecine et de son calcul de l'IMC, ces femmes préoccupées ne sont pas considérées comme ayant un diagnostic de santé mentale (troubles alimentaires), mais sont constamment préoccupées par leur poids, leur image, ce qu'elles doivent manger et ce qu'elles "n'ont pas le droit de manger"; c'est principalement ça qui est alarmant!!!! 

Même si on élimine les filles extrêmement maigres des défilés, il restera les filles maigres et les filles minces. Et ça ne réglera pas le problème, car le 99% des femmes de la population qui ne correspondent pas aux modèles de filles maigre (ayant un IMC entre 16 et 18) et aux filles minces (avec un IMC entre 18 et 20, max) tenteront encore et toujours de perdre du poids; les préoccupations excessives à l'égard du poids perdureront tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas une diversification des modèles de beauté dans les médias; il faut voir des belles femmes de tous les formats corporels: 4-6-8-10-12-14-16 et 18 ans ans de tour de taille! Et c'est sans perler du besoin de la diversification au niveau de l'origine ethnique et de l'âge des modèles! Les créateurs se disent brimés dans leur créativité en utilisant de plus grandes tailles pour créer leurs modèles; je dis "la contrainte pousse le créateur à se dépasser".

Sophie Morin, Sexologue-Consultante