J'ai récemment publié un texte qui répondait à la pensée du psychologue Yves Dalpé, diffusée via sa chronique hebdomadaire dans le journal Le Soleil. Monsieur Dalpé sous-entendait qu'il fallait faire une hiérarchisation des types d'agresseurs sexuels.
À la suite de ce texte, certaines personnes, partageant l'opinion de Monsieur Dalpé, m'ont écrit sur Twitter: "Être attouchée sexuellement n'est pas la même affaire qu'être violée sauvagement". L'utilisation de 140 caractères rendant difficile le développement de la pensée, je crois qu'il est important que je clarifie ici certains aspects de l'agression sexuelle. Voici donc pourquoi je ne crois pas à la hiérarchisation des types d'agressions sexuelles qui n'aide personne, sauf à se déculpabiliser.
Le viol
J'ai souvent écrit sur ce sujet, mais voici un rappel pour vous indiquer qu'au Canada, l'appellation "viol", en vertu du Code Criminel Canadien, n'existe plus. Pour résumer, l'appellation "viol" était réductrice, car elle excluait beaucoup de victimes; les hommes ne pouvaient pas être victimes, les femmes ne pouvaient pas être auteures; s'il n'y avait pas eu de pénétration et d'éjaculation, ce n'était pas un viol et un mari ne pouvait pas avoir violé sa femme. Il y a plus de 30 ans qu'on parle "d'agression sexuelle" lorsque la cause est amenée devant un tribunal et afin de fixer une sentence, il existe trois types de chefs d'accusation: les agressions sexuelles simples, les agressions sexuelles armées et les agression sexuelles graves. Mais peu importe, on parle toujours d'agression sexuelle.
Il y a des agressions sexuelles moins graves?
Certaines personnes tentent de minimiser des formes d'agressions sexuelles. Dans leur discours, l'agression sexuelle "ultime" est ce qui définit l'ancienne appellation du viol; à leurs yeux, tous les autres types d'agressions sexuelles sembleraient moins graves. Mais est-ce le cas dans la réalité? Peut-on réellement faire une corrélation positive entre "violence physique" et "gravité des conséquences"? Non et voici pourquoi.
Premièrement dans les situations qualifiées de "viol", on parle généralement d'un seul épisode très violent, alors que dans les attouchements et le harcèlement, on parle souvent de plusieurs épisodes survenus sur une longue période de temps. Ensuite, quand on parle de viol, on a souvent en tête une femme qui s'est fait forcer physiquement à subir des contacts sexuels, et donc, qui a résisté. Quand on parle des attouchements sexuels (le type d'agression sexuel le plus souvent vécu chez les enfants, qui constituent les 2/3 des victimes d'agressions sexuelles), les auteurs utilisent à peu près toujours la manipulation pour obtenir des contacts sexuels: promesses de cadeau, prétexte "d'éduquer sexuellement, jeux, blagues, etc., et où peu de force physique n'est utilisée. À la suite de ces attouchements, l'agresseur utilise souvent les menaces, le chantage et la culpabilisation de sa victime pour l'amener à garder le silence: "tu vas perdre ton emploi", "tu vas briser la famille", mais surtout, des arguments qui tentent de responsabiliser la victime, tels que "tu voulais", "c'est toi qui m'a provoqué" et "c'est de ta faute". Les victimes d'attouchement et de harcèlement en arrivent souvent à croire qu'elles ont consenti à leur agression sexuelle.
Croyez-vous qu'avoir le sentiment d'avoir consenti à son agression sexuelle est pire ou mieux que d'être forcé physiquement à une agression sexuelle? Comment croyez-vous que se sent une personne qui a l'impression d'être responsables de son agression? Croyez-vous sincèrement que les impacts dans sa vie sont moindres que pour celles qui ont vécu un viol et qui ont résisté? Non. Les conséquences et les impacts sont différents, mais le sentiment d'avoir été détruite et trahie peuvent avoir la même intensité. Il arrive même que certaines victimes de harcèlement et d'attouchement vivent des conséquences plus graves que certaines victimes dites "de viol"; il faut seulement se souvenir qu'il est impossible de faire une règle actuarielle en fonction du type d'agression sexuelle vécue et qu'être victime d'agression sexuelle n'est pas un concours du "plus mieux et du plus pire".
L'agression sexuelle est arrivée il y a longtemps, une seule fois; pourquoi judiciariser la situation?
Certaines personnes disent: "C'est arrivé juste une fois et la personne regrette; est-ce que ça sert réellement à quelque chose de l'envoyer en prison?" ou encore "c'est arrivé depuis tellement longtemps". À ces personnes je réponds: "Si l'auteur regrette, est-ce qu'il a présenté ses excuses à la victime?" La très grande majorité des fois, l'auteur de ces gestes a fait le choix de ne pas présenter d'excuses. Plusieurs victimes, quant à elles, doivent vivre avec un entourage qui ne les ont pas crues. Très souvent aussi, leur parole a été mise en doute, leur apparence physique ou leurs activités sexuelles ont été scrutées à la loupe pour voir si elle n'elles n'ont pas "provoqué", donc mérité en partie leur agression. Les victimes, en l'absence de soutien et de reconnaissance de leur vécu se sont senties salies, coupables et honteuses depuis TOUTES ces années.
Ayant travaillé avec des victimes d'agressions sexuelles, mais surtout avec des intervenant(e)s qui oeuvrent auprès des victimes d'agression sexuelle, voici ce que j'ai souvent entendu: "La majorité des victimes, ce qu'elles veulent, c'est de se faire dire "Je te crois, oui, tu as vécu une agression sexuelle." L'autre chose que plusieurs victimes souhaitent, c'est avoir des excuses de leur agresseur, ce qui ne vient à peu près jamais. Plusieurs victimes dénoncent à la police pour être reconnues dans ce qu'elles ont vécu, car elles se sont souvent fait dire que c'était dans leur tête. Plusieurs victimes disent que si leur agresseur était venu les voir pour leur offrir de sincères excuses et qu'elles voyaient qu'ils expriment un réel regret, celle-ci ne verraient pas d'intérêt à intenter des poursuites judiciaires.
Car si vous croyez que de subir un procès en agression sexuelle est une chose anodine, vous vous trompez royalement. Pour plusieurs victimes, les procédures judiciaires qui aboutissent à un déclaration de culpabilité de leur agresseur leur permet d'avoir, un peu, ce qu'elles n'ont pas eu, c'est-à dire se faire dire: "Oui, on te croit. L'agression sexuelle est arrivée et cette personne n'aurait pas dû agir ainsi".
Car si vous croyez que de subir un procès en agression sexuelle est une chose anodine, vous vous trompez royalement. Pour plusieurs victimes, les procédures judiciaires qui aboutissent à un déclaration de culpabilité de leur agresseur leur permet d'avoir, un peu, ce qu'elles n'ont pas eu, c'est-à dire se faire dire: "Oui, on te croit. L'agression sexuelle est arrivée et cette personne n'aurait pas dû agir ainsi".
Je dis donc à toutes les personnes qui disent, pour elles-mêmes ou pour une autre personne: "Ben là franchement! Le geste n'était pas si grave et ça ne mérite pas un procès!"; avez-vous offert vos excuses sincères à la personne lorsque vous avez vu que celle-ci s'était senti agressée par votre geste, si celui-ci ne visait pas à l'agresser? Si vous répondez "oui" je suis presque sûre que la très très grande majorité de ces situations ne se sont pas rendues devant les tribunaux. Si la réponse est "non" et que vous avez plutôt tenté de nier, de patiner pour justifier ou excuser votre geste, ces poursuites judiciaires sont nécessaires pour la victime, la société et l'agresseur.
4 Commentaires
Un bon matin, je décide que je veux reprendre ma vie en main. Je suis tanné de me laisser guider par la vie et par mon passé. Comme plusieurs, j’ai eu une enfance difficile, une enfance qui a assurément marqué ma vie.
Ce matin-là, je prends rendez-vous avec un psychologue qui écrit des articles dans les journaux. Je me dis que, puisqu’il est connu et publié, il doit être compétent. Et tant qu’à consulter pour régler mes problèmes, j’aime mieux consulter quelqu’un de compétent ! J’entre dans son bureau muni de grosses chaises confortables et très bien décoré. Il me dit de m’asseoir et de me mettre à l’aise, puis me demande ce qui m’amène dans son fauteuil.
Je commence à lui raconter les abus sexuels que j’ai vécus dans mon enfance. Je lui explique mon histoire et les événements. Je lui confie que j’aimerais dénoncer mon agresseur, que je me sentirais mieux. J’aurais l’impression de regagner ma dignité perdue, d’enfin faire la lumière sur ces événements, de progresser dans mon processus de guérison.
Il me pose alors une question : « Pourquoi as-tu attendu aujourd’hui, tout ce temps, avant d’en parler? » Puis, sans me laisser le temps d’y répondre, il enchaîne : « Pourquoi n'as-tu pas évité les secrets et la collusion avec ton agresseur? » Il se recule alors sur sa chaise et enlève ses lunettes. Il me dit qu’il comprend ce que j’ai vécu, mais qu’il faut faire attention pour éviter les réactions injustifiées et disproportionnées.
Selon lui, je ne semble pas avoir beaucoup de séquelles. Il me dit que c’est peut-être seulement un écart de conduite de l’agresseur. Il me rappelle que les gestes remontent à plusieurs années et qu’il serait préférable de parler avec dignité avec mon agresseur. Il croit qu’il ne faut pas nécessairement dénoncer publiquement mon agresseur, parce que ça pourrait bouleverser sa vie.
Il tente de me rassurer en me disant qu’il y a des actes beaucoup plus graves et répréhensibles que les abus sexuels. À titre d’exemple, il y a des gens qui ont de multiples relations extra-conjugales sans se sentir coupables.
Je commence à me sentir mal. Ça ne fait que quelques minutes que je suis dans son bureau et je me dis que c’est peut-être de ma faute si j’ai été abusé sexuellement. Que peut-être que ce n’est pas si grave que ça. Ma petite voix intérieure me dit de partir.
Je le remercie pour la consultation. Juste au moment où je me lève, il me dit qu’il est important de ne pas démoniser mon agresseur, parce que dans la plupart des cas, les agresseurs aiment leur victime.
Fin de la consultation, la porte se referme sur mon passé.
Que pensez-vous de cette consultation? Des propos de ce psychologue? Heureusement pour moi, cette histoire est le fruit de mon imagination. Malheureusement, les propos du psychologue sont, eux, bien réels. En effet, le 4 mai dernier, Yves Dalpé, psychologue, a écrit un texte intitulé « Dénonciation des sévices sexuels : attention aux abus » , texte paru dans La Presse.ca.
C’est inconcevable d’écrire un article de la sorte. Chose certaine, à partir de maintenant, les avocats des agresseurs pourront mettre Monsieur Dalpé dans la catégorie des psychologues qui défendent les prédateurs sexuels qui abusent de nos enfants, tout en banalisant et en discréditant les victimes. Est-ce ce que nous voulons pour notre société?
Alain Fortier
Président de Victimes d’Agressions Sexuelles Au Masculin (VASAM) et auteur du livre : « Agressé sexuellement, de victime à résilient ».