Les romans ont fait couler beaucoup d'encre. Plusieurs féministes ont dénoncé les livres en invoquant la banalisation et l'érotisation d'une dynamique de violence conjugale. D'autres ont soulevé la question du libre choix des femmes pour leur sexualité qui se trouve à être un des apports des luttes féministes. Il y a aussi une bonne quantité de personnes qui se sont prononcées sur le phénomène sans l'avoir lu en présumant du contenu qui s'y trouvait. Personnellement, en lisant le premier roman, j'ai compris pourquoi il était aussi populaire: il était écrit avec un rythme s'apparentant au "Da Vinci Code" sur une trame de roman de Danièle Steel avec un personnage féminin qui découvre l'extase sexuelle en jouissant en un seul claquement de doigts. Wow! On avait là plusieurs ingrédients pour mener vers un succès. Le livre n'aurait probablement pas fait autant parler de lui si la pratique sexuelle mise de l'avant dans le roman n'avait pas été le sadomasochisme (j'en ai parlé plus longuement dans un précédent billet). Pourtant, l'auteure E.L. James n'est pas la première à mettre en scène le rôle d'une femme vulnérable qui se fait initier au sadomasochisme par un homme puissant.  Paolo Coelho a écrit le roman "onze minutes" où le personnage principal est beaucoup plus enclin à adhérer au sado-masochisme, mais son roman a beaucoup moins fait parler. Ironiquement, les critiques du livre de Coelho banalisent très certainement l'aspect sadomasochiste du livre pour n'en faire à peu près pas mention.
Il est important que je mentionne que la trame du film est similaire et différente à la fois de celle du tome 1 de la trilogie des livres. Similaire, car ce qui a été gardé se trouvait bel et bien dans le livre, mais différent, car le film étant grand public et non pornographique, plusieurs aspects importants  se rapportant aux scènes sexuelles ont été coupés. Il est très difficile de rendre à l'écran la charge érotique qui peut se trouver dans une scène sadomasochiste sans laisser planer certaines longueurs pour démontrer l'érotisation de l'attente (élément important dans le sadomasochisme). Ensuite, à la lecture du livre, on sent beaucoup d'ambivalence de la part du personnage d'Anastasia à s'engager dans des pratiques sadomasochistes. On sent aussi beaucoup de peur, d'incertitude et de naïveté ingénue. Il est étonnant de lire dans le tome 1 qu'une jeune femme n'ayant jamais eu de relation sexuelle, ne s'étant jamais masturbée, n'ayant jamais démontré d'intérêt pour la sexualité obtient son premier orgasme lors de sa première relation sexuelle en se faisant caresser les seins. Il est étonnant aussi de voir qu'elle pratique des fellations "gorge profonde" naturellement et qu'elle est multiorgasmique dès ses premières relations sexuelles. Mais ces éléments ne sont pas présents dans le film, ce qui amène un éclairage différent de cette idylle.
La journaliste de Radio-Canada me demandait à la sortie du film si 50 shades of Grey était une représentation saine de la sexualité. J'admets que je ne savais pas trop quoi répondre... J'hésitais pour plusieurs raisons; d'une part, le sujet du sadomasochisme est extrêmement délicat, d'autre part parce que des collègues féministes avaient crié au scandale, mais surtout, parce que le film (si on fait abstraction des livres)... n'était pas si pire que ça d'un point de vue sain de la sexualité. Sain, car presque la moitié des scènes érotiques nous présentent des échanges sexuels passionnés, sans plus ni  moins que bien des films. D'autre part, car on voit une jeune femme qui s'adonne à ce jeu vraiment pour ce qu'elle perçoit: un jeu. Elle semble s'amuser des caprices de son nouveau partenaire, car elle voit cette relation comme beaucoup plus globale que seulement des pratiques sadomasochistes. Pour elle, il ne s'agit pas d'un mode de vie, mais bien d'un jeu dans lequel elle a mis ses limites en négociant un contrat. La situation semble saine aussi, car elle la questionne et met ses limites lorsque ça ne lui convient plus. La situation peut ne pas convenir à tout le monde, mais malsaine? Je ne peux pas dire ça.
Par contre, si on regarde la situation d'un point de vue relationnel, on peut mettre beaucoup de bémols; l'homme souhaite non seulement avoir des pratiques sexuelles sadomasochistes, mais l'inclure dans un mode de vie. Il est à savoir que ce n'est pas du tout le cas de la majorité des personnes qui s'adonnent aux pratiques sadomasochistes. Le fait de ne pas réellement faire de coupures entre les pratiques sexuelles et la vie quotidienne lorsque le sadomasochiste s'inscrit dans le cadre d'une dynamique de couple peut devenir extrêmement malsain, voire, devenir une dynamique de violence conjugale. Pat Califia, auteur prolifique sur la déconstruction des genres a plusieurs fois abordé ces questions dans ses écrits.
Bien de choses s'expliquent; on peut comprendre qu'un homme qui a vécu les 4 premières années de sa vie dans un milieu dysfonctionnel empreint de violence et de négligence développe une sexualité où se côtoient amour et haine, douleur et plaisir. Par contre, ce n'est pas parce qu'un phénomène s'explique qu'il est légitime. Dans "50 shades of Grey", nous n'assistons pas seulement à la mise en scène d'un homme qui a des pratiques sexuelles sadomasochistes. Nous assistons à la mise en scène d'un homme qui a besoin de tout contrôler pour ne pas sentir que le monde s'écroule sous ses pieds, y compris le contrôle de sa partenaire dans toutes les sphères de sa vie: sa sexualité, son alimentation, ses allées et venues, etc. Le contrôle, c'est probablement ce qui l'a gardé en vie, lorsqu'il était enfant. Mais devenu adulte, ce contrôle n'est plus une fatalité, mais un choix qu'il fait. En ce sens, on ne peut pas parler d'une relation saine entre deux adultes.
Vivre une vie de couple saine, c'est développer la capacité de partager une intimité avec l'autre. Avoir des relations sexuelles n'implique pas nécessairement de l'intimité avec une personne, car l'intimité se développe par la capacité de montrer son côté vulnérable à l'autre. Dans "50 shades of Grey", le personnage d'Anastasia semble accepter la proposition de Grey de s'adonner à des pratiques sadomasochistes dans le but de construire une intimité, ce qui n'est pas le cas de Grey lui-même. Le besoin de contrôle en tout temps rend impossible l'atteinte d'une intimité. De mon point de vue, le sadomasochisme est un prétexte pour aborder ce thème qui est au cœur de toutes les relations amoureuses. Je suis convaincue que tout le monde serait capable de faire des liens avec sa propre vie en écoutant ce film.
Finalement, je ne suis pas certaine que je recommanderais le film pour la St-Valentin. Bien sûr, la première partie contient une bonne charge érotique qui pourrait donner envie à certaines personnes de s'éclipser vers les toilettes pour soulager la tension. Mais la deuxième partie contient son lot d'ambivalence, de pratiques sadomasochistes (qui ne conviennent pas à tout le monde), de contrôle et de cassures. Ce genre de films peut très certainement susciter des discussions sur les valeurs au sein d'un couple. Dépendamment de votre capacité à entretenir une discussion avec votre partenaire sur un sujet sur lequel vous aurez peut-être des points de vue divergeant, peut-être serait-il plus sage de ne pas aller voir ce film pour la St-Valentin si vous souhaitez terminer votre soirée dans l'harmonie. À vous de juger!