Ça fait plusieurs mois que je vous avais annoncé la venue de ma critique du livre « Les Québécois ne veulent plus draguer et encore moins séduire ». J’ai amorcé cette lecture il y a presque un an et je viens tout juste de la terminer Il y a d’ailleurs une raison à ça : plusieurs passages de l’essai m’ont fait complètement sauter au plafond. J’avais donc décidé de mettre cette lecture de côté le temps de digérer un peu tout ça et je l’ai repris il y a quelques jours. Par contre, ces mois de repos n’ont pas changé ma perception; les mêmes propos m’ont toujours fait autant sauter au plafond! J

Ce qui est réellement étrange, c’est que plusieurs réflexions à propos du contexte de séduction au Québec sont réellement intéressantes! Mais plusieurs autres ont pour trame de fond « c’est à cause des féministes que les hommes sont si mêlés aujourd’hui ». Ah les méchantes féministes! Comme elles ont le dos large! 

Mais au-delà des féministes fautrices de trouble, les auteurs de l’essai nous font réfléchir sur des aspects très intéressants à propos des relations hommes femmes. On nous parle des prétextes utilisés pour ne pas séduire (la paresse, la peur du rejet, l’orgueil, etc.), de la problématique que cause l’opposition dans laquelle on place constamment les hommes et les femmes où l’accent est mis sur leurs différences, plutôt que sur leurs ressemblances plus grandes en nombre. On nous présente aussi le défi de la séduction dans un contexte où certaines femmes ont un besoin de contrôler la situation, laissent peu de place à l’imprévu, à la surprise et surtout, au laissé aller.

Toute une section est accordée aux impacts possibles de la pornographie sur les relations entre les hommes et les femmes, notamment sur les sites hard en constante augmentation sur le net où le corps est réduit à l’état de chose, d’objet uniquement destiné au plaisir égoïste où il est logiquement permis de le détruire. On nous parle aussi des modèles de la porno auxquels se réfèrent les hommes et au modèle Walt Disney du prince et de la princesse auquel se réfèrent les femmes.

Certains extraits méritent d’ailleurs d’être cités :
  • Dans l’intensité de l’émotion sentimentale, dans l’ambiguïté des perceptions amoureuses, il n’y a aucune égalité (…) Lorsqu’ils sont sous la domination du sentiment amoureux, les hommes et les femmes ne sont pas égaux. Ils sont profondément déstabilisés, mais complémentaires.
  • Les mythes (ne pas pleurer, de toujours être fort), les empêche (les hommes) de vivre pleinement leur potentiel dans les rapports avec eux-mêmes et avec les autres.
  • Ils (les hommes) doivent non pas trouver la place que les femmes voudraient qu’ils prennent, mais eux, trouver leur propre place. Il faut que les hommes puissent se redéfinir.
  • Nous vivons à une époque où, pour être « in », il faut aspirer à la perfection instantanée et, idéalement, sans effort.
On ne peut le nier: la séduction est un défi à relever. Que ce soit dans les relations hétérosexuelles ou homosexuelles (aspect complètement évacué de ce livre), ce n’est pas toujours évident. Alors que les auteurs nous ont présenté des réflexions intéressantes, ils en présentent d’autres complètement archaïques et préhistoriques. J’ai sélectionné quelques passages que je souhaite commenter :

Le spectre du harcèlement sexuel : Il faut insister sur une particularité québécoise : la lutte acharnée au harcèlement sexuel. Il est bien sûr nécessaire de réprimer les comportements harcelants, mais la définition du harcèlement peut ratisser tellement large qu’elle finit par englober des comportements de séduction.
Dans le reste du passage, les auteurs font carrément preuve de mauvaise foi dans les exemples cités. La séduction n’est certainement pas synonyme de harcèlement sexuel. Une personne peut tenter de séduire une autre personne, mais si cette autre personne envoie un signal de désintérêt ou met une limite, si la personne continue ses gestes ou ses paroles, ça devient du harcèlement sexuel. Il ne s'agit pas du geste, mais du contexte dans lequel ce geste a eu lieu qui nous permet de déterminer s'il s'agit de harcèlement ou non.

Les auteurs s’indignent, car la définition de harcèlement sexuel inclus qu’un seul geste peut être considéré comme du harcèlement sexuel. Mais pour que ce seul geste soit considéré comme du harcèlement, on ne parle pas d’un regard furtif! On pense à une personne qui empoignerait les fesses de son ou sa collègue « pour rire », d’une réunion durant laquelle une personne s’adresserait à une collègue en s’adressant volontairement à ses seins ou autres situations du genre.

Tenter de faire croire aux lecteurs(rices) qu’un sourire ou une tentative d’entrer en contact est considéré comme du harcèlement sexuel n’est rien d’autre que de la mauvaise foi et une méconnaissance du phénomène et des impacts du harcèlement sexuel chez les personnes qui en sont victimes.

Le féminisme a fait perdre de vue le plaisir de la drague.
Depuis quand les féministes sont contre la séduction? La majorité des féministes sont contre la banalisation du harcèlement sexuel et du « c’est juste une blague » de la part des personnes qui outre passent les limites. Mais la séduction, ça reste agréable et ce n'est absolument pas en contradiction avec les valeurs féministes.

L’art d’avoir l’air bête et l’anti-manuel de séduction : À l’écrit, toujours mieux s’exprimer avec aisance et originalité de manière à humilier le lecteur mâle.
Ok, donc une femme qui aurait étudié en littérature ou amoureuse de la langue ne pourrait écrire une lettre avec aisance et originalité? Est-ce réellement à une femme de niveler par le bas en n'utilisant pas ses forces pour séduire un homme de peur de blesser son orgueil ou à l’homme de savoir être séduit par une femme qui a une force qu’il n’a pas lui-même? Parce que ce que je comprends ici, c'est qu'une femme ne doit pas être plus intelligente qu’un homme pour ne pas le blesser… Bienvenue en 1950…

La vraie séduction, c’est de se faire désirer, ne pas montrer qu’on désire l’autre.
Je suis en désaccord avec ce postulat; je trouve que ça devient schizophrénique et aliénant! Cacher notre désir pour l’autre en souhaitant se faire désirer, c’est de la manipulation, mais c’est aussi avoir peur de perdre le contrôle. Et dans une relation saine entre deux personnes, il ne devrait pas y avoir de lutte de pouvoir de cette façon.

Au restaurant, il est monnaie courante que deux tourtereaux insistent pour diviser la note en part égale. Cette habitude, d’une impolitesse crasse, est un legs du mouvement féministe.
Je connais plusieurs personnes qui, au cours des premiers rendez-vous, préfèrent payer leur part. Il est évident que si l'autre personne souhaite vous inviter, il faut savoir accepter l’invitation. Mais est-ce qu'une femme doit s'attendre à ce que l’homme paye la note au restaurant? Je ne crois pas. Et si la femme souhaite inviter, l’homme devrait aussi accepter l’invitation sans s’insurger. Le féminisme prône effectivement l’égalité et je ne vois pas pourquoi il reviendrait aux hommes de payer et en quoi ça sabote la séduction.

Les femmes valorisent donc tout ce qui est féminin, et malgré leur amour pour les hommes, elles vont dévaloriser ce qui est masculin. C’est ce qu’on entend dans le discours féministe depuis 45 ou 50 ans; tout ce qui est considéré comme masculin, la compétition, la rationalité, etc. est même dévalorisé et même diabolisé.
Les féministes diabolisent la rationalité? Ça se passe de commentaire…

Les gars n’ont plus le droit d’être des gars.
Cet aspect est réellement intéressant, mais on ne définit nul par c’est quoi être un gars! Quand j’étais à l’université, j’ai fait le cours qui s'intitulait « La condition masculine » où nous nous étions penchés sur cette question. La conclusion à laquelle nous nous étions arrêtés, c’était que les hommes ne se définissent pas parce qu’ils sont, mais par ce qu’ils ne sont pas, soit ne pas être des femmes, ne pas être des enfants et ne pas être des homosexuels. Donc jusqu’à ce qu’une personne me définisse c’est quoi être un gars, il faut arrêter de dire que les femmes et les féministes empêchent les gars d’être des gars!

Je pourrais encore citer des dizaines d’exemples machistes et réducteurs présents dans ce livre, mais je vais m'arrêter ici.

Dans leur livre, les auteurs défendent la séduction et militent pour l’intégration de la séduction dans le mode de vie des Québécois et des Québécoises, mais ne semblent pas distinguer « séduire » et « aspirer à avoir des relations sexuelles ». Il y a là pour moi une contradiction si l'objectif est d'amener les Québécois à savoir séduire par plaisir et présenter la séduction dans un contexte qui vise surtout à avoir des relations sexuelles.

De plus, les auteurs nous présentent une panoplie d’auteurs qui disent militer pour la cause des hommes alors qu’une bonne partie d’entre eux militent surtout contre les féministes.

J'ai une question pour vous: est-ce que le contexte de la séduction est si catastrophique au Québec? Devrions-nous envier le contexte de séduction français ou Sud américain? Est-ce une mauvaise chose que plus de femmes participent activement au processus de séduction et n'attendent pas passivement que les hommes viennent les aborder? Je suis d'accord qu'il y a des améliorations à apporter: les hommes auraient avantage à reprendre confiance en eux et en leurs moyens et les femmes auraient avantage à apprendre à décliner sans mépris les avances d'une personne qui ne les intéresse pas. Mais sincèrement, je n'envie rien au contexte français où "mettre ses limites" devant un homme trop insistant nous attire des insultes telles "sale pute mal baisée". Et encore moins au contexte Sud américain où des soldats armés faisant le contrôle des routes se permettent d'arrêter 3 femmes pour les contrôler.... et en profite pour les questionner sur l'absence de leurs copains et essayer de leur soutirer leur numéro de téléphone (cette histoire m'est personnellement arrivée).

En bref, la trame de fond de ce livre présente plusieurs réflexions et solutions constructives noyées sous une mer de réflexions barbares qui m’ont trop souvent fait décrocher. Je ne crois pas que les auteurs soient anti-féministes, mais le choix des auteurs qu'ils citent dans leur ouvrage oriente la réflexion en ce sens.