** Cet article fait suite au reportage diffusé sur les ondes de Radio-Canada mercredi le 9 juin 2021 ayant pour titre : " En deuil, une employée est dirigée vers un sexologue faute de psychologue" **

Je n’ai jamais perdu d’enfant. Je ne connais pas cette réalité de l’intérieur. Je ne peux qu’essayer de m’imaginer comment ça peut être lorsque ça arrive. Je m’imagine le déchirement, la détresse et le désespoir. Je m’imagine la souffrance humaine de voir cette vie partir, dans toute l’impuissance du monde. Je m’imagine le gouffre qui peut s’installer dans le ventre d’un parent à qui ça arrive. Je peux m’imaginer aussi que les gens ne pourront pas comprendre l’intensité du mal que ça peut représenter. Je peux m’imaginer la perception d’être seule dans ce drame et le désir d’être accueillie. Je peux m’imaginer le doute qu’il peut y avoir qu’une personne puisse comprendre vraiment ce que ça signifie.

Quand j’essaye de me mettre dans la peau d’une personne qui vient de perdre un enfant, je me questionne : comment va-t-elle? Est-ce qu’elle a du soutien? Quel impact cet événement tragique a sur elle? Sur sa famille? Sur son couple? Est-ce que dans cette tragédie, cette personne sent que son partenaire est un allié sur qui elle peut compter? Est-ce qu’un fossé se creuse entre elle et son partenaire? Est-ce qu’un silence sombre s’installe entre eux? Est-ce qu’ils cohabitent comme deux âmes esseulées? Comment perçoivent-ils la vie en ce moment? Est-ce que la joie et le bonheur sont perçus comme des affronts à ce qu’ils viennent de vivre? Je peux m’imaginer qu’il est difficile d’envisager de célébrer la vie dans un moment pareil. Le déchirement et l’ambivalence que ça peut créer. Peut-être même la rage que ça peut faire émerger.

Je peux m’imaginer une personne qui a besoin d’aide et de soutien avoir le courage de faire appel aux ressources proposées par son employeur via un programme d’aide aux employés. Je peux m’imaginer la déception, la frustration voire la rage de se faire répondre que les ressources actuelles sont épuisées, car tous les psychologues ont des horaires complets. Je peux m’imaginer la surprise de se faire proposer les services d’un sexologue dans un tel contexte. Je peux m’imaginer l’affront que peut représenter cette alternative. « Comment une personne sensible et sensée puisse envisager que le sexe soit une de mes préoccupations à l’heure actuelle, alors que je viens de perdre un enfant? », « Comment suis-je sensé avoir envie d’atteindre l’extase dans un moment de détresse aussi puissant? », « À quel point faut-il être déconnecté de la souffrance des autres pour penser vouloir être dans le plaisir en ce moment? »

Je peux m’imaginer l’envie de porter plainte à son syndicat parce que l’employeur propose une offre de services aussi inappropriée dans le contexte. Je peux m’imaginer l’impuissance du syndicat face à la détresse d’une mère qui a besoin d’aide, qui ne se sent pas soutenue et qui aimerait bien l’épauler. Je peux m’imaginer la sensibilité d’un journaliste qui souhaite donner une voix à cette personne qui a besoin de soutien afin qu’on lui apporte l’aide spécialisée dont elle a besoin. Je peux m’imaginer la souffrance et l’impuissance devant ce drame. Je peux m’imaginer le désir de parler fort pour que les choses bougent, parce que la mort, elle, ne peut être changée.

Comme personne, je peux m’imaginer toutes ces choses. Mais je mentirais si je disais que c’est uniquement ma qualité d’humaine qui m’a permis d’avoir cette finesse dans ma capacité à me mettre à la place des autres. Mon parcours universitaire en sexologie, comme bachelière, m’a beaucoup aidé. Puis la maîtrise clinique quelques années plus tard ainsi que la formation continue que je fais chaque année complète, une formation à la fois, mon coffre à outil pour accompagner les personnes qui souffrent. À force d’être aux premières loges dans l’intimité des gens, on développe une sensibilité particulière face à la souffrance humaine. Être choisi par une personne qui souffre pour parler des parties les plus vulnérables d’elle nécessite de développer de la compassion et de l’humilité face aux gens. Les sexologues, qu’elles soient bachelières, détentrices d’une maîtrise et d’un permis de psychothérapie, sont conscientes de l’importance d’aborder avec délicatesse et sensibilité les sujets douloureux, tabous et difficiles à dévoiler. Mes collègues et moi-même ne sommes pas spécialisées dans tous les troubles de santé mentale, même si on en côtoie beaucoup au quotidien. Mais une chose est sure; les sexologues sont des professionnelles formées pour accueillir la détresse des gens, plus précisément dans les sphères intimes, cachées, parfois honteuses. Les sexologues connaissent la douleur et savent accueillir avec compassion la souffrance d’une personne.

Je comprends qu’une personne qui ne connait pas trop notre profession voit les sexologues dans le prisme de ce qui est présenté dans les médias à propos de nous. Je suis consciente qu’à première vue, « sexologue » et « deuil périnatal », ça semble incompatible. Je suis consciente aussi que dans un moment de détresse, on n’a pas envie de faire des recherches sur le champ d’expertise de toutes les professions; on veut de l’aide d’une personne en qui on pourra avoir confiance. Je suis consciente que c’est au psychologue que penseront la majorité des gens dans une situation de deuil et c’est tout à fait légitime. Je comprends que ce soit frustrant d’avoir l’impression de ne pas avoir accès à l’aide à laquelle on a droit. Je comprends que des personnes ont pu être touchées de près par l’histoire de ces personnes qui avaient besoin d’aide.

Cela étant dit, je crois que la presse et ses journalistes ont la responsabilité de prendre un peu de recul avant de livrer des reportages à la population pour s’assurer de cibler les justes enjeux d’une situation. Je ne suis pas prête à dire qu’il était juste de cibler les sexologues comme étant la ressource inappropriée face à la situation que vivaient ces personnes; dans les faits, les sexologues étaient tout à fait compétentes pour accompagner une personne en deuil périnatal. Un peu de recul aurait permis au journaliste de contacter une sexologue pour valider si elle possédait les compétences dans ce champ d’expertise plutôt que présumer que non. Il aurait été plus juste d’éviter d’écorcher une profession qui a en son sein des professionnelles compétentes et formées pour accueillir la détresse que peut vivre une personne en deuil.

Je souhaiterais prendre le temps de présenter mes sympathies à cette personne qui a perdu un enfant. Mes pensées sont avec elle dans cette épreuve douloureuse qu’elle traverse et je crois que mes collègues ont cette même sensibilité à l’heure actuelle. Je vous souhaite de trouver l’aide dont vous avez besoin et j’espère que vous êtes bien entourée. Bon courage pour la suite.